Voila le genre de film dont on n'attend tellement rien qu'il ne peut constituer, au mieux, qu'une bonne surprise. En ce qui me concerne, Salut les frangines fait figure de cas d'école.


Dès le début, rien que par le générique de début annonçant : "Les films Jacques Leitienne présentent", l'avenir du film est scellé : on sait qu'il sera fauché et qu'il n'y aura pas grand chose - si ce n'est rien - à sauver. Au terme de ce même générique (dont la musique électronique étonne agréablement par son côté avant-gardiste), un message de remerciement envers un éleveur de porcs, ayant visiblement mis ses billes dans l'affaire et prêté son exploitation pour l'occasion, est amusant par l'incongruité de cette mise en exergue à l'entame du long-métrage. Et l'on comprend alors que Michel Gérard a réajusté son scénario avec l'arrivée de cet investisseur, quand on découvre que le père de l'un des principaux personnages tient une exploitation porcine plutôt bien mise en avant durant toute l'intrigue, aussi famélique soit-elle.
Un budget si resserré peut être aussi enthousiasmant pour le spectateur que stimulant pour le réalisateur. Le manque de moyens pousse ce dernier à redoubler d'inventivité, à trouver des astuces de mise en scène pour rendre son travail bien plus intéressant qu'il ne l'aurait été avec un budget confortable, l'argent à profusion court-circuitant généralement toute inventivité. Cependant, les films produits et/ou distribués par Jacques Leitienne brillent sempiternellement par leur paresse et versent allègrement, au pire, dans le navet ; au mieux dans le nanar, et plongent irréversiblement le public dans les bras d'une désolation irrévocable. Et bien ici, malgré le petit budget alloué et la réputation qui précède Leitienne et Michel Gérard, force est de constater que ce dernier a réalisé un bon petit film, un produit de très bonne tenue pour la gamme à laquelle il appartient, à savoir la série B voire C.


Quel est le but de Salut les frangines (également titré : Dis bonjour à la dame) ? C'est de faire un long-métrage pour les jeunes, fin adolescence, et de parler de leur sexualité matricielle, des premiers passages à l'acte. Le public visé est clairement juvénile et provincial. Leitienne connait bien les salles de province, Michel Gérard, en qualité d'exploitant (en parallèle de sa carrière de cinéaste), aussi. Il a pu analyser les gouts de ses clients et leurs réactions dans les salles. Il s'en souviendra pour l'écriture puis la mise en scène de ce film dont le ton et la courte durée sont parfaitement calibrés pour être programmé dans un cinéma permanent : on peut arriver à n'importe quel moment du film et comprendre l'histoire en quelques minutes, les scènes polissonnes sont suffisamment pléthoriques pour piquer l'attention du chaland, à menu frais... À savoir que Daniel Derval, comédien ayant beaucoup travaillé pour ce genre de longs-métrages produits par Leitienne, souligne dans une interview accordée à Alexandre Tardif que ce distributeur exigeait au moins une scène de douche avec des hommes dans ses films car les jeunes femmes allaient apprécier ces comédies pour y découvrir/savourer l'anatomie masculine à une époque où la morale réprouvait cette curiosité jugée jadis des plus malsaines. Ici, on aura le droit un bout de nichon par ci, un zizi à l'air par là... Les jeunes clients de tout bord en ont ainsi pour son ticket d'entrée...


Niveau scénario, il n'y a aucune étincelle, il n'y a même rien à retenir. Tout est prétexte à lancer des scènes de cul toutes les 25mn environ... Tous les fantasmes y passent, tant du point de vue hétéro masculin tant que du point de vue hétéro féminin: se taper la mère de son meilleur ami, la soeur de son meilleur ami, la bonne de son meilleur ami... Ou se taper le meilleur ami de son frère, le meilleur ami de son fils, le meilleur ami du fils de son patron... Cela m'évoque la structure d'un roman de gare. Ce type de film est d'ailleurs l'équivalent d'un roman de gare : on y va pour y trouver un court plaisir "chewing-gum", que l'on jette et oublie après consommation, le tout sacrifié pour éprouver une sensation immédiate et renouvelable ad nauseam. Or, là où le bas blesse, c'est que Salut les fragines est un scénario de film de cul... sans scène de cul justement. Enfin, il y en a, mais elles ne sont pas excitantes. Elles ne sont ni assez érotiques, ni assez pornographiques... Ça couchote rapidos, et encore faut-il qu'ils couchent... Souvent, on n'assiste qu'aux préliminaires, pour la plupart avortés... Si c'était un long-métrage ou un téléfilm érotique, celui du feu dimanche soir de M6, l'intrigue et la manière dont elle est ficelée eussent été parfaitement calibrées. Mais non, le tout restera regrettablement sage. Soit.


Une fois cette déconvenue digérée, on se rend aisément compte que la mise en scène est à la hauteur du script. Puisqu'il n'y a rien à filmer d'exceptionnel, le découpage demeure irrémédiablement plat. Comme tous les films fauchés de l'époque, Gérard a beaucoup recours à la caméra à l'épaule et son but est de couper le moins possible pour mettre en boîte le maximum de minutes utiles par jours de tournage. Ici, Michel Gérard bénéficie de plusieurs acteurs, pourtant débutants pour certains, assez convaincants, au point qu'il peut se risquer à plusieurs plans séquences, avec à la clef une réussite étonnante. Il laisse sa caméra tourner et on l'oublie. Nous n'en n'avons plus que pour les acteurs. Le problème majeur des comédies fauchées, à l'instar des autres du metteur en scène, ce sont les jeunes acteurs vedettes qui sont bien souvent insupportables. Ils en font des caisses et s'avèrent imbuvables. Ici, le rôle du frère notamment, aurait pu être catastrophique. Or, ce protagoniste s'avère, contre toute attente, éminemment sympathique. Ce n'est pas qu'un macho. C'en est un, c'est évident, mais il a un esprit bon enfant. Il protège sa soeur sans l'étouffer, accepte qu'elle couche avec son meilleur ami, il prête volontiers sa bonne au même chanceux. De plus, il est incarné par un jeune comédien, non professionnel, Fréderic Duru, tout à fait épatant. Il possède un charisme indéniable, un charme roublard, une faconde espiègle. C'est un grand dadais avec des pulsions adolescentes. Un épicurien sympa. Il profite de ses vacances avec une insouciance irrésistiblement communicative. Il aurait pu être agaçant, et non. Il dégage de bonnes ondes, il joue bien les cons lourds mais sympatoches. Dommage que la carrière de celui qui l'incarne bifurquera vers la décoration, il avait surement sa carte à jouer en tant que second couteau du cinéma français... Pour mon plus grand plaisir, il bouffe tout l'espace, il ne laisse que des miettes aux autres. Mis à part Duru donc, le seul que l'on retiendra dans cette distribution est bien évidemment le plus connu : Maurice Biraud, ici en fin de carrière. Il est toujours triste, comme ce fut le cas de manière encore plus violente pour Dalio par exemple, de voir de grands comédiens sombrer dans des séries B voire Z après avoir travaillé avec les plus grands noms de la profession pour des chef d'oeuvres impérissables. Ici, malgré le scénario indigent et des dialogues insipides, Biraud parvient à demeurer naturel et tirer les comédiens les plus faibles vers le haut. Sa lassitude apparente du métier lui sert dans l'interprétation de son personnage de papa fatigué et d'époux distant. On sent tout de même encore une petite étincelle dans son oeil, de temps en temps, qui ne demandait qu'à être rallumée par de grands auteurs, malheureusement absents de cette entreprise. Je peux cependant remercier Michel Gérard de lui avoir permis de continuer de travailler, sur plusieurs films -bien que mauvais, certes - mais qui m'offre, a minima, de retrouver avec plaisir ce comédien qui dégage une humanité réjouissante et porte en lui une vis comica que j'apprécie toujours autant.


Salut les frangines est un film campagnard, solaire, parfait pour passer un petit moment. Un petit plaisir fugace, qui s'oublie dès la fin du film qui s'arrête sans générique de fin. Une dernière réplique : "Oh le porc...!" puis carton noir. On passe à un autre film.

ThibaultDecoster
5

Créée

le 28 mai 2021

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