Où les spécialistes de l'art semblent découvrir que les œuvres de l'époque de Léonard étaient quasiment toujours des œuvres d'atelier... cela prête à sourire, mais ce documentaire n'en est pas moins un réquisitoire redoutable contre les tartuffes du monde de l'art et un pourfendeur joyeux de la galerie de personnages tous plus antipathiques les uns que les autres qui sont intervenus dans une gabegie magistrale : l'achat d'un Léonard miraculé par un prince du désert de sinistre réputation, pour une somme délirante. Au générique : un cheik qui entreprend de séquestrer des œuvres pour attirer des touristes culturels dans ses terres désertiques et se refaire une virginité, un marchand d'art au nez creux, une foule d'intermédiaires roués, des restaurateurs aux doigts de fée, des joueurs invétérés, un mercenaire rigolard, des directeurs de musée aux intentions parfois peu louables, un oligarque russe trop crédule, un chef d'état exaspéré, un Ministre de la culture aux ordres, des journalistes pugnaces, des employés de chez Christie's candidats pour le prix Rats 2021- dont une gagnante éclatante, archétypale, splendidement creuse, un vrai poème-, une porte-parole muselée, des spécialistes, des historiens, un filou à l'ancienne, mais aucun, AUCUN artiste. C'est ça, le monde de l'art, apparemment. En tout cas, c'est que ce que tous ces gens racontent. Je veux dire : toutes ces personnes qui ne créent jamais rien et prospèrent sur des artistes morts. Mais ça n'est pas là le vrai sujet; non, le vrai sujet, c'est 80 millions de dollars dépensés pour un tableau - même un véritable Léonard, admettons - par un oligarque dont une mine s'est effondrée sur ses mineurs. Un type qui joue au Monopoly avec le labeur des pauvres. Le vrai sujet, c'est 450 millions de dollars déboursés par un type qui se débarrasse de journalistes sans aucune vergogne pour planquer un Léonard éventuel dans un container en Asie. Salvator Mundi, ou comment l'avidité morbide d'une petite clique assèche, capte, dilapide, détourne, stocke, appauvrit, exploite et attire dans son orbite tout un tas de satellites au cynisme horripilant. Il y avait effectivement de quoi faire un documentaire édifiant, qui met le doigt où ça fait mal et ne mâche pas ses conclusions, sans pour autant avoir besoin de nous les exprimer longuement. La contemplation consternée de ce petit univers parasitaire se suffit à elle-même.