L'immersion totale que procure le format 70mm combinée aux prises de vues dantesques de Ron Fricke donnent le tournis. "Samsara" redonne au cinéma son sens initial, un fabuleux spectacle d'images et de sons.
Vingt ans après le sublime "Baraka", le chef opérateur de "Koyaanisqatsi" réitère l'expèrience, baladant son regard aiguisé aux quatre coins du monde.
Armé de sa caméra chargée de cette fameuse pellicule 70mm, il continu de scruter notre planète à petite comme à grande échelle, à la recherche du merveilleux, de l'insondable.
Des bordels thaïlandais au désert de sable, du Qatar au Mont Saint-Michel, des prisonniers philippins aux tribus africaines, des statues bouddhistes aux sex dolls japonaises, Ron Fricke photographie un monde qui en vingt ans, à finalement très peu changé. La beauté côtoie toujours la laideur, la richesse, la pauvreté, et les mêmes frontières séparent les mêmes territoires.
Le cinéaste américain fait le même constat, si bien que l'optimisme timide mais réel de "Baraka" laisse désormais place au désarroi. Là où l'un terminait dans les étoiles à la manière d'un voyage cosmique, l'autre semble vouloir rester sur terre. L'heure n'est plus à l'évasion mais à la méditation.
A la manière d'un instantané, en témoignent les nombreux portraits qui émaillent le film, le cinéaste capture l'essence de notre monde pour en tirer une "carte d'identité" cinématographique.
Kaléidoscope géant à la facture formelle rarement égalée où la musique majestueuse de Michael Stearns transcende les images belles jusqu'à l'absurde d'une caméra tantôt à fleur de peau tantôt dans les nuages, "Samsara", comme "Baraka", parle de tout ou presque. Des pyramides égyptiennes aux échangeurs de Los Angeles, du baptême à l'enterrement, du bouddhisme aux judaïsme, du gaspillage au recyclage, on observe, on découvre, on voyage, on rit, on pleur, on s'interroge, on s'émerveille, on patiente, on s'indigne, on s'évade, on réfléchit... Peu de films peuvent se vanter d'offrir une si large palette d'émotions.
Pour approcher son oeuvre, Ron Fricke évoque le concept bouddhiste d’impermanence où rien n’est acquis, rien n’est fixe, rien n’est immuable.
Comme ces moines tibétains s'affairant avec minutie à la conception d'un magnifique mandala qu'ils balayeront de la main une fois terminé, "Samsara" est une oeuvre fascinante et fragile, pertinente et exigeante.