Désespérant de trouver un emploi, Mary Blake (Jeannette MacDonald) vient à San Francisco dans le but d’accomplir son rêve : chanter à l’opéra Tivoli. Mais elle ne trouve qu’une place dans un cabaret chic de la ville, le Paradis, dont le propriétaire Blackie Norton (Clark Gable) tombe amoureux d’elle. Là, elle se fait vite remarquer par le directeur de l’opéra Jack Burley (Jack Holt), mais lorsque celui-ci lui propose de quitter son cabaret pour devenir cantatrice, Norton refuse de rompre le contrat de Mary. Il engage ainsi une longue lutte avec Burley, sous les yeux désespérés du père Mullin (Spencer Tracy, lumineux), son ami d’enfance, qui tente vainement de ramener un Norton aveuglément athée sur les voies du Seigneur. Mais on est alors à la veille du 18 avril 1906, date du grand tremblement de terre de San Francisco, et les destins de tous ces personnages vont se faire rattraper par l’Histoire…
Film scandaleusement oublié, San Francisco fait partie de ces films auxquels il faudrait impérativement donner une seconde chance. C’est ce que nous permet entre autres la merveilleuse collection DVD des Trésors Warner, dont on ne dira jamais assez de bien.
C’est en effet avec un plaisir constant que l’on s’immerge dans ce triangle amoureux poignant, dont les deux angles Clark Gable et Jeannette MacDonald sont d’une perfection absolue (Jack Holt est certes plus terne), l’un dans son rôle de cynique meilleur qu’il ne veut le faire croire et l’autre dans celui de la naïve jeune fille qui ne cherche qu’à trouver sa place dans un monde qui n’est pas le sien. La présence de Spencer Tracy, plus centrale qu’elle n’y paraît de prime abord, contribue grandement à la réussite du film, par la superbe figure de prêtre qu’il compose, un prêtre qui voit ceux qu’il aime faire de mauvais choix sans pouvoir les en empêcher ni même réussir à le leur en faire prendre conscience. On assiste dès lors nous aussi, impuissants face à la tragédie qui se joue sous nos yeux, d’autant plus qu’on ne parvient pas plus à savoir quels choix seraient les meilleurs pour les personnages auxquels nous nous attachons. Heureusement, pour rendre plus agréables ces deux heures de tragédie moderne, W.S. Van Dyke agrémente son film de numéros musicaux tous plus agréables les uns que les autres, allant du divertissant à l’émouvant, que ce soit sur la scène du Paradis, à l’opéra ou bien dans l’église du père Mullin, Jeannette MacDonald s'avérant une chanteuse exceptionnelle avant d’être actrice (avec évidemment une mention spéciale pour San Francisco, la chanson-phare du film).
Mais on ne peut parler de ce grand film sans évoquer l’incontournable scène du tremblement de terre, qui figure sans nul doute parmi les grands moments du cinéma américain de la première moitié du XXe siècle. Bénéficiant d’effets visuels plus qu’honorables pour l’époque, elle impressionne par sa puissance d’évocation, et sa manière de mêler le grandiose à l’intime, en jouant à la fois sur le plan de la ville (superbes plans d’immeubles en train de s’écrouler ou de rues s’ouvrant en deux) et sur celui de Norton, cherchant désespérément celle qu’il aime au sein d’une foule en panique.
D’autant que cette immense séquence et le quart d’heure qui suit concluent le film de la meilleure manière qui soit. En effet, ne faut-il pas voir dans ce triste événement la réponse de Dieu, que l’on aurait pu croire absent du récit, à la prière d'un fervent comme le père Mullin ? Car si l'on peut choisir d'y voir la punition par un Dieu vengeur de l’impiété d’une ville où l’homme se croit omnipotent, il n’apparaît pas déplacé d’y voir également le signe de la miséricorde d’un Dieu aimant qui, par l’épreuve et la douleur, se rappelle au bon souvenir d'un peuple désorienté et égocentrique. C’est bien le sens de ces superbes images où l’on voit Clark Gable bouleversé par la prière des rescapés de la catastrophe naturelle, à la fois action de grâce et prière pour l’âme des victimes.
Ainsi, malgré quelques longueurs peu importantes, San Francisco constitue une belle leçon de cinéma, non seulement par sa richesse, naviguant avec une incroyable aisance du drame musical au film catastrophe, mais également par sa profondeur, rappelant qu’il fut une époque où le cinéma américain était encore capable de se laisser toucher par la grâce.