Cette année-là, 1985, c’était l’année où chacun avait (voulait) son walkman, Bronski beat chantait Smalltown boy, James Bond s’envoyait en l’air en haut du Golden Gate Bridge, et le Sida commençait à faire flipper et décimer tout le monde chez les homos et les camés. Frankie a un superbe walkman Sony jaune qu’il trimballe partout avec lui. C’est un jeune danseur un peu solitaire, un peu buté, un peu paumé, très gay aussi et ne sachant plus comment s’y prendre avec les garçons (valsant entre un colocataire qui se cherche, un voisin voyeur et un autre assez entreprenant, un homme rencontré en boîte de nuit, et un collègue danseur sexy). L’épidémie naissante du Sida va venir chambouler sa petite existence et ses (déjà) grandes incertitudes.
Ancien danseur professionnel à la fin des années 80, Chris Mason Johnson a vécu cette période de peur et de parano liée à l’émergence du Sida, et son film évoque ce temps où même la sueur de l’autre inquiétait, ce temps où l’on inspectait sa peau à la recherche d’éventuelles taches suspectes, où se sentir vivant ne tenait plus à grand-chose… Face à Dallas buyers club ou The normal heart, auxquels on ne peut s’empêcher de penser, San Francisco 1985 peine à s’imposer, à se caractériser malgré sa douceur et sa fugace poésie. Bancal, le film paraît hésiter sur la rigueur et la structure de son scénario, oscillant trop simplement entre chorégraphies à la chaîne (très belles au demeurant) et quotidien barbant de Frankie (avec, coincés au milieu, la question du Sida et les premiers dépistages).
Comme si le principal intérêt du film était de parler avant tout de danse (comme le joli 5 danses, sorti l’année dernière) en y annexant maladroitement (la métaphore de la souris, d’abord chassée, puis finalement apprivoisée), dans une optique se voulant plus sérieuse et plus universelle, l’évocation sommaire des bouleversements liés à l’apparition du Sida. Scott Marlowe (double saisissant de Jeremy Irons jeune avec la même coupe de cheveux, le même visage anguleux, le même corps sec et noueux) et Matthew Risch (brut et animal, brièvement aperçu dans la série Looking) parviennent heureusement à donner chair et grâce à leur personnage, prêts au petit matin à vivre un éventuel amour, libre, fragile, mais menacé.
Article sur SEUIL CRITIQUE(S)