Idiot, mais riche
Je comprends maintenant, après avoir découvert ce film, pourquoi sans filtre a obtenu la Palme d'Or. C'est tout simplement le talent d'un réalisateur suédois, Ruben Östlund, qui réussit la...
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le 17 oct. 2022
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Autant le dire tout de suite : Triangle of Sadness, comédie noire au goût d'auto-satisfaction, a ironiquement tout l'air de classer son auteur, Ruben Östlund, parmi ces acteurs prétentieux du paraître, pour qui le film social semble devenu l'objet tendance des discussions artistiques (sur la côte d'Azur entre autres). A moins que ce doigt d'honneur ne soit en réalité fait comme une généralité au monde qui l'entoure ? Nous verrons que le cynisme du monsieur n'a d'égal que sa prétention à revenir à Cannes avec une boucherie pareille.
Cette nouvelle Palme d'Or, sortie en septembre 2022, accumule les caractéristiques agaçantes d'un certain type de cinéma bien (trop) présent aujourd'hui : la satire pompeuse et faussement subversive. Dans Triangle of Sadness, Östlund élabore tout un tas de situations comiques pour mettre en scène l'absurde de l'univers des ultra-riches. Il essaie, en servant du grotesque, d'offrir quelque chose de subtil. Mais son récit ultra-moqueur ne réussit qu'à se prendre les pieds dans le tapis. L'exubérance satirique ne parvient qu'à nous faire détester le style du réalisateur, qui sait pourtant très bien comment manier une caméra. Il se dégage ainsi de ce scénario pauvre en finesse, une forme d'irritation que la mise en scène vient souligner grâce à un talent dont Östlund sait jouer. Dans ce film, il aime filmer le grotesque avec panache, en poussant les conséquences de ses événements au comble de leur potentiel (et cela se ressent jusque dans la longueur du film). La scène du vomi en est un bon exemple. Le cinéaste se prête à jouer avec le montage en enchaînant les réactions aux secousses, et sa caméra qu'il pose un peu partout dans le but d'évoquer le désordre de la situation. C'est cette forme de mise en scène talentueuse, déjouée, présentée comme un rire moqueur supplémentaire, qui vient personnellement m'agacer. Dans son film, "Ruben" se moque de tout, de tout le monde, sans arrêt. Et sa paresse intellectuelle de petit riche récemment palmé, ne lui autorise même pas une pointe d'engagement. La masturbation est totale.
Parler de l'univers des ultra-riches, comment cela se déroule ? Premièrement, un chapitre étiré, inégal aux deux autres dans sa découpe temporelle (quelle audace) où un couple se déchire pour une addition à régler. L'idée de fond est osée, en d'autres termes : pompeuse. Le réalisateur sait que débuter son film avec un détail aussi minable rime avec de la provocation. Il introduit donc la satire avec une partie qu'il imagine tout aussi subersive dans son propos que dans son concept. On lui fera remarquer plus tard qu'un carton noir pour découper son film reste encore la décision la plus paresseuse en terme de conceputalité (le film arriverait presque à nous faire penser que ce minimalisme pseudo qualitatif excite le cinéma indépendant d'aujourd'hui)... Inutile, d'y accorder plus de temps. La branlette de ce cher Ruben ne fait que commencer. On retiendra tout de même de cette partie : une belle progression, originale et un brin amusante. Un court-métrage aurait d'ailleurs complètement trouvé sa place pour ce chapitre. Ce n'est qu'après le bouquet final (apparaissant au bout de 150 minutes je le rappelle), que l'amertume provoqué par Triangle of Sadness sera finalement parvenu à me faire mépriser ce premier tiers, pourtant pas si mauvais.
Nous en arrivons à la seconde partie, sans doute la préférée d'un bon nombre de spectateurs, qui aiment se faire berner par un élitiste qui critique les élites. La croisière s'amuse là, jusqu'à nous étouffer. Mais rassurez-vous, la longueur de cette partie, n'égale pas celle de la dernière. Les aspects humoristiques sont ici très présents, c'est d'ailleurs un enchaînement complet de situations comiques. Sans surprise, la comédie est assez condescendante. S'y ajoutent des traits cinglants, toujours dans le but d'insister sur la position cynique tenue par le film par rapport au sujet qu'il traîte. Notre coeur est d'ailleurs tiraillé quand arrive la scène d'étranglement politique entre un vendeur d'engrais russe, et le capitaine Woody Harrelson, américain d'appartenance marxiste. D'une part la présence de ce dernier offre une bouffée d'air frais au film qui voit ici son meilleur atout de jeu (au côté de la tristement disparue Charlbi Dean), de l'autre la discussion maigrement ficelée inscrit l'apogée du côté pompeux de l'oeuvre d'Östlund. Invoquer des citations politiques dans le but d'asseoir un peu d'intellectualité sur le grotesque du récit se révèle probablement l'un des pires choix parmi tous ceux du réalisateur. Mais bon nous passerons... Le pire est encore à venir. A noter que la transition avec l'épilogue (ou troisième tiers) termine en malaise l'absurde encore assumé du film.
Que dire de cette utlime partie ? J'ose espérer qu'absolument tout le monde l'aura jugée affreusement inutile ; car si la farce de Triangle of Sadness s'avère déjà de trop, ce dernier acte achève de ridiculiser son metteur en scène. Un chapitre qui soulève tout de même une question intéressante : le cynisme de ce cher Ruben l'aurait-il mené jusqu'à se moquer de son propre film ? Car si la branlette intellectuelle de l'entrée peut se montrer égayante (en tous cas si l'on n'y fait pas trop attention), un Koh-Lanta des ultra riches a-t-il sa place dans l'humour que loue le jury de cette Palme d'Or ? J'avoue que je n'ai pas pu m'empêcher de comparer ce pan du film au clip "Roar" de Katy Perry. De nombreuses interrogations interviennent dans cette comparaison, et j'en viendrais presque à me demander si l'esthétique si tristement mémorable du film, ne serait pas elle-même piétinée ici, m'évoquant de fait le décor dans lequel la chanteuse pousse son hurlement. Trève de plaisanterie (même si c'en est une), ce final plus long que le Napoléon d'Abel Gance aura fini par enterrer toute crédibilité à cet OVNI fantasmé. La preuve au moins qu'un artiste présomptueux apprécie se moquer de tout le monde, même de lui.
J'en finis ici avec "Sans filtre", qui n'a en effet de tact à aucun moment dans sa démarche satirique plurielle et alarmante de longueur (mon dieu comment a-t-il fait pour ne pas raccourcir son montage si ce n'est encore une question d'égo). Le réalisateur se pense moderne, efficace, mais ce qu'il sert se résume à un plat indigeste : une blague destinée aux privilégiés qui peuvent tout de suite aller se rassurer en constatant que tout le monde est traité à part égal dans "l'audacieuse moquerie" du film. Dans une absence désobligeante d'engagement, Ruben Östlund démontre un sens auto-suffisant du travail et une attitude aussi hautaine qu'excécrable. L'inégalité technique sauve étonnamment le long-métrage d'un naufrage dans lequel il se heurte bel et bien, tant dans son histoire que dans sa thèse inexistante. On a plus qu'a espérer que l'enfant prenne un peu en maturité pour son prochain film, et que ses envies d'ici là soient tout du moins un peu plus honorables que celle misérable de se doigter sur le dos des pauvres.
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Créée
le 16 oct. 2022
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