Un peu de bon sens psychologique et un fistage interminable de portes ouvertes

Le dernier tiers (sur l'île) rehausse l'intérêt grâce au renversement des rapports de force. Les hypocrisies comme le reste deviennent quasi animales, les dénis devenus plus lourds à tenir s'accompagnent d'intimidations directes ; 'sans filtre' les prolos ont une chance et la saisissent. Malheureusement, il faut enchaîner des sessions de malaise de petit calibre mais de longue durée, ultra démonstratives et jamais drôles, pour arriver au déclencheur salvateur – le dîner virant à Braindead. En chemin, seul le 'capitalist pig' russe (Zlatko Buric vu dans Pusher 3) apporte une nuance de lourdeur plus franche.


Les deux premières parties (la mode, le yacht) sont quasi exactement tout ce qu'elles pouvaient être de la part de l'auteur de The Square s'il se laissait aller. La charge est à la fois naïve, cruelle, pleine de ressentiment ; même pour afficher le vide et la superficialité malade, ce film a la vue trop basse. Notamment dans la première partie, que veut-on nous dire ? Que ces jeunes idiots aiment ou veulent de l'argent ? C'est 'la vérité' à balancer ? Mais qui est trompé par ces apparences calculées, qui verra ses illusions détruites ici ? Sûrement pas un spectateur de ce film à la morale de socialiste amer et au focus de bourgeois mesquin, dégueulant un monde indigne de lui en prenant bien soin d'occulter tout ce qui pourrait avoir de la valeur. Le niveau median de finesse dans ce film, c'est souligner la présence d'une mouche sur le yacht pendant une séance photo ; quand la morale s'y mêle (ou qu'on se régale de cyniquement montrer ceux qui n'en auraient pas), c'est un homme qui tout en pleurant sa femme récupère les bijoux sur le cadavre. Cette vision 'pessimiste' étriquée et provocatrice (or dans le contexte il n'y a rien de si choquant), cette façon mesquine de s'expliquer l'humain, est soit la marque d'un esprit pauvre ou paresseux, soit celle d'un opportunisme qui aurait pu alimenter une carrière flamboyante dans tous les métiers de la démagogie (maintenons 'aurait pu' par charité envers nos leaders culturels).


Ostlund avec ses comédies goguenardes sous filtre distancié et 'clinique' se vautre exclusivement dans le minable : il côtoie les degrés les plus bêtes et des plus raffinés de ce qui est censé déshabiller l'homme civilisé de ses prétentions ; mais Solondz (Storytelling, Happiness) montre des facettes bien pires sans avoir cette manie d'identifier les personnages à leurs tares – et en s'interdisant cette largesse, le cinéma d'Ostlund reste au niveau de l'enfant gâté soudain heurté par le réel et très fier de réaliser à quel point les adultes sont moins lisses que prévu. Ce genre de sale gosse incapable d'un retour sur lui-même voit des lâchetés dans l'humain – il voit des brèches vers les âmes, alors il croit avoir tout vu. On veut peut-être jouer à mépriser le luxe au travers de Triangle of sadness ; ce qui est sûr, c'est qu'on s'y raconte que ces gens-là ne le méritent pas, mais que nous avons bien deux heures et demi à consacrer pour contempler leur déchéance (c'est cohérent comme du Haneke refaisant son Funny games). Il aurait mieux valu massacrer les repères de ce petit monde dès le départ, autrement dit 'déshabiller' comme on le fait sur l'île plutôt que se moquer doucement – même si dans tous les cas ce n'est que pour étaler des évidences, au moins dans la crise on trouve l'intensité et l'épaisseur que la simple 'photo d'identité' de crétins et d'abjects ne permet pas.


https://zogarok.wordpress.com/2023/04/07/sans-filtre-triangle-of-sadness/

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le 7 avr. 2023

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Zogarok

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