Cinéaste assez rare et discret (son dernier et très réussi La Route Sauvage date de 2018), Andrew Haigh affectionne les portraits tourmentés et les individus marqués par l’épreuve du temps et des relations familiales complexes. Sans jamais nous connaître explore ainsi la solitude d’un adulte, déchiré entre des souvenirs douloureux et la difficulté à rester en contact avec le monde extérieur : l’occasion pour Haigh de renouer avec la thématique de l’homosexualité déjà au cœur de son premier film, Week-end en 2011, qui questionnait déjà la convergence entre la rencontre et l’adieu.
L’esthétique très ouvragée du film convoque donc tout l’éventail du lyrisme élégiaque, comme en témoigne ce très beau premier plan dans lequel se superpose la cité londonienne et l’apparition progressive de celui qui la contemple. La photo joue constamment entre une approche clipesque (nuit, cadre urbain, boîtes de nuits…) et une carnation plus chaleureuse, en accord avec le point de vue du protagoniste qui traque les derniers fragments d’humanité et de tendresse disponibles autour de lui, et qu’on retrouvera dans l’imagerie plus ancienne, des photos jaunies argentiques qui composeront l’univers de la banlieue parentale.
Ce primat accordé à la mise en scène, un montage fondé sur le fondu enchaîné et les limites poreuses de la perception conduisent assez rapidement le spectateur à questionner l’univers narratif du protagoniste.
(Spoils)
Le premier point sur les entretiens avec les parents a beau rapidement être clarifié, l’évolution des échanges n’en est pas moins fascinante. Au-delà d’une réactualisation des questions sociétales sur l’évolution des mœurs à l’égard de la communauté homosexuelle, c’est surtout l’occasion pour le fils esseulé de verbaliser tout ce qui n’a jamais pu l’être. Car s’il est clairement aux commandes du contenu (son travail d’écriture au début du récit trouve ici un de ses aboutissement), les interlocuteurs brisent les conventions sur la supposée sagesse des spectres qui pourraient délivrer quelques vérités de l’autre monde à celui resté chez les vivants. Les parents s’interrogent, regrettent, patinent encore dans de vieux réflexes, et questionnent même les circonstances de leur propre mort avant de pouvoir réellement s’en aller.
Cette série d’échanges qui oscillent entre le déchirement et une tendresse retrouvée pour un adulte qui serait devenu plus mature que ses géniteurs aurait presque pu se suffire à elle-même. Mais elle alterne avec la rencontre d’un homme qui semble donner à Adam l’élan pour pouvoir entreprendre ce travail, et prend une direction idéalisée qui va très rapidement éveiller le soupçon du spectateur. C’est là qu’Andrew Haigh pèche un peu par excès. Par abus de musique et de sommaires, d’éveils en sursaut et de labyrinthes hallucinés, le récit surjoue ses effets et cherche à perdre le spectateur, alors que la matière à traiter (les retrouvailles éphémères avec les parents, le réapprentissage de l’amour et de la sensualité) était déjà amplement suffisante.
De ce point de vue, la révélation finale semble elle-aussi superfétatoire : alors qu’on avait très rapidement remis en question le couple en construction, l’ajout de la mort du jeune homme accroît encore les mécanismes du mélodrame, au risque d’effacer les précédents. Elle n’en conduira pas moins à un superbe épilogue qui boucle avec le ciel nocturne offert en ouverture, et fusionne en une image assez déchirante la terrible solitude des individus contemporains et la toute-puissance de l’imaginaire pour tenter de la combattre.