Pour son tout premier long-métrage, la réalisatrice Indienne Sandhya Suri, habituée jusque là au documentaire et au court métrage, nous gratifie d'un film étonnant et passionnant, un vrai polar noir et dur, issu d'une histoire vraie vécue par la réalisatrice, confrontée à une manifestation de femmes face à des policières.
Ecrit par une femme, avec une héroïne policière, dans une Inde encore très dominée par les hommes, ce film est-il ouvertement féministe ? Certainement, mais pas que : nommé dans la catégorie Un Certain Regard du festival de Cannes 2024, Santosh nous plonge dans la complexité de la société Indienne d'aujourd'hui, avec ses innombrables castes, sa violence quotidienne, les religions qui s'y affrontent, et la corruption qui la gangrène ! Une société malade de ses contradictions et de ses inégalités que la réalisatrice nous montre avec beaucoup d'acuité et sans aucune complaisance.
Santosh, cette femme soudain veuve, bénéficie du "recrutement compassionnel", une réalité en Inde, et devient ainsi policière ! Indépendante, sportive et peu encline à privilégier sa famille, Santosh va ainsi trouver une forme de vocation. Aussi se livre-t-elle corps et âme dans l'enquête qu'on lui confie pour retrouver le violeur et meurtrier d'une jeune femme de la caste des "Dalits", ces fameux intouchables, populations opprimées et vivant dans une grande pauvreté que personne ne veut approcher car affectées aux tâches impures...
Vite sur la trace du meurtrier présumé, et pilotée par sa chef charismatique, volontaire mais roublarde Sharma, Santosh obtient des résultats rapides qui font d'elle une policière qu'on admire !
Cependant l'enquête va peu à peu se complexifier, dans un scénario passionnant et terrible, que la réalisatrice construit et déroule avec une efficacité redoutable, faisant de ce thriller de plus de deux heures où l'on ne s'ennuie pas une minute, une vraie prouesse.
Et quand on est confronté aux Intouchables d'en haut, ces castes dirigeantes qu'on ne peut jamais mettre en cause, il faut savoir aller dans les compromissions de cette société indienne moralement trouble... Ainsi Santosh doit en prendre sa part, initiée par Sharma, ce qui ne manquera pas d'effriter son idéal de policière... Mais jusqu'où faut-il aller dans ce pays pour défendre les femmes ?
Pour réussir un tel film, il fallait deux actrices principales fortes et expérimentées du cinéma Indien, voire Bollywoodien :
- Shahana Goswami, impeccable dans le rôle de Santosh, jouant avec sincérité, sensibilité et une profonde intériorité, son regard volontiers globuleux donnant une force particulière aux non-dits;
- Sunita Rajwar, jouant avec efficacité et goguenardise cette policière expérimentée, rompue aux pratiques douteuses, et un brin véreuse; capable de détachement dans son rôle, elle coache avec bonheur et cynisme Santosh et on y croit.
Pour un premier film, Santosh est une magnifique surprise qui aurait sans doute mérité d'être primé à Cannes dans sa catégorie.
Un excellent long-métrage à voir pour découvrir les méandres de la société indienne actuelle, en espérant qu'il sera remarqué dans la torpeur et la vacuité cinématographiques de cet été 2024 !