Sauvages
6.8
Sauvages

Long-métrage d'animation de Claude Barras (2024)

L'édition 2024 du festival international du film d'Animation d'Annecy a été particulièrement généreuse en proposition et en retours remarqués. Ces derniers ont réussis à trouver une place au Festival de Cannes, lors d'une édition paraissant comme une anomalie au vu de la relation très contrarié qu'entretient le festival avec l'animation. Parmi ces retours, entre Jean François Laguionie et son Slocum et moi, ou encore Vincent Paronnaud avec l'adaptation de sa bande dessiné Angelo dans la forêt mystérieuse, se trouvait le nouveau film de Claude Barras. Un des derniers films francophone tenant tête à un film d'animation Disney (ici Zootopie) durant le renouveau Disney post Raiponce, il serait peu dire que Ma Vie de Courgette a fait sensation et a permis à son réalisateur de rentrer par la grande porte dans le milieu. Il était évident que Sauvages était attendu, et que ce dernier fût immédiatement l'un des rares films d'animation à animer les rumeurs pré-cannois (avec La plus précieuse des marchandises de Michel Hazanavicius). C'était un scénario idéal pour le film, se voyant assuré une place en compétition officielle d'Annecy, voire une place au palmarès comme la majorité des films d'animation ayant trouvé leurs places au Festival de Cannes. Pourtant, le conte de fée a commencé à doucement s'effriter lorsque les échos commençaient à parler de distributeurs et de vendeurs internationaux remettant en question la qualité du film, lorsque le film ne fût sélectionner en séance jeunesse (aux côtés de Angelo dans la forêt mystérieuse), et lorsque le film est reparti bredouille de la compétition d'Annecy, s'inclinant face à Flow de Gints Zilbalodis ou encore Memoir of a snail d'Adam Elliot. Il y a alors plusieurs interprétations possibles, allant de la glorification de l'année 2024 à la descente pur et dur du second long métrage d'un réalisateur talentueux. Cependant, la meilleure manière de découvrir qui est la bonne reste de voir le film et de se forger son propre avis, et c'est malheureusement les pré-sentiments les plus pessimistes qui avaient raison.


D'entré de film, à travers la maxime "la Terre ne nous appartient pas, nous l'empruntons aux générations futures" et une scène d'exposition très efficace (voire expéditive), on comprend très vite que le film veut aller dans de l'efficacité. Il faut délivrer l'urgence et marquer le spectateur sur les déforestations. Cependant, cela vient beaucoup trop souvent à l'encontre de la réalisation et de la démarche artistique globale qui se retrouve impacté par cette nécessité d'urgence. On est sur de la stop motion, un art qui prend du temps, qui demande au spectateur de scruter les détails, qui demande à son réalisateur beaucoup de minutie... que ce dernier n'arrive pas à retranscrire. Si la direction artistique et l'animation en sa globalité est impeccable, avec des moments très intéressant lorsqu'un personnage va pleurer et que l'on voit les larmes doucement arriver, l'animation en elle-même nous fait dire que l'on a déjà vu mieux. Les arbres ont l'air de PNG qui se déplacent quand ils tombent, les cascades manquent en relief, et surtout le jeu des personnages est parfois très sommaire. On a presque l'impression d'une réalisation plus esthétique que narrative. On retrouve une forme de réalisme et de froideur dans la patte à modeler que l'on avait déjà dans Ma Vie de Courgette. Il y a bien deux scènes de rencontre avec un jaguar (de loin les meilleurs moments du film) où l'on cherche à casser ce réalisme pour nous emporter vers quelque chose de plus fantasmé, mais sinon tout le film reste dans une posture passive, voire même spectateur du récit que l'on met en scène. Cela a ses avantages, comme le fait de vouloir retranscrire un récit qu'on veut préserver de tout interprétation, se positionnant dans une logique de neutralité. Cependant, cela pousse le spectateur à beaucoup plus s'attarder sur la narration et le scénario, et au vu de l'écriture, ce n'est pas nécessairement une bonne chose.


Le film recentre le récit autour de la petite fille qui, à travers un parcours initiatique, arrivera à se reconnecter à sa famille tout en lui faisant prendre conscience de la nécessité de préserver la forêt. Le soucis étant que le personnage est constamment spectatrice de ce qu'elle vit et de ses responsabilités, regardant les autres lui raconter des histoires, l'aider à réparer ses bêtises qu'elle n'assumera jamais, et provoquant elle-même des problèmes allant à l'encontre de ce qu'on lui a enseigné. Le personnage n'est pas mauvais en soi, il est même plutôt agréable, le tout plutôt bien interprété par une comédienne qui m'a beaucoup rappelé Louise Labecque (Zombi Child, Toni en famille) dans une certaine fragilité envoutante. Le soucis étant que le récit est tellement maladroit et grossier que l'on a du mal à prendre quoi que ce soit au sérieux. D'une part les relations entre les personnages ne marchent jamais vraiment. A cause de développements situationnels de personnages, on arrive jamais à croire aux intentions du personnage principal. La relation avec le cousin, qui prend une place importante dans le film, semble forcée et hypocrite car le personnage principal est avant tout animé par la volonté de rentrer chez elle et d'être tranquille avec son bébé orang-outan. Lorsqu'elle est confronté à une forme de spiritualité et qu'elle décide d'assumer ses origines, le personnage en devient ridicule tant le film tient comme acquis l'attachement émotionnel du spectateur vis-à-vis d'un personnage qui passe son temps sur son portable et qui ne semble pas touché par ce qu'elle rencontre. L'un des seuls actes de la jeune fille pour sauver la forêt de Bornéo parait égoïsme et de la malhonnêteté tant on a l'impression qu'elle agit sans écouter ce qu'on lui a appris, dans une vision fantasmé de ce qu'est être une sauvage. D'autre part, le scénario est bâclé et ne sert qu'à vaguement justifier un message politique d'une bêtise affligeante, délivré avec aucune subtilité. Le problème englobant la déforestation de Bornéo est confondante de connerie tant tout semble pouvoir se régler administrativement. Parce que les sauvages n'ont pas de cartes d'identité ils ne peuvent pas stopper une entreprise qui déforeste la forêt, mais si les habitants de Bornéo n'ont pas de cartes d'identités, comment le père du personnage principal a-t-il pu se marier avec une femme de Bornéo ? Et si le personnage principal a une carte d'identité, comment ça se fait qu'elle est valable ? A force de vouloir justifier l'inaction administrative des personnages de Bornéo, le film devient incohérent et absurde dans ses intentions. A cela s'ajoute le regard que porte le film sur son sujet qui est ahurissant de naïveté. Les personnages de Bornéo se disent contre le progrès et la déforestation, mais vivent eux même dans la technologie avec des panneaux solaires et des portables qui ont Eyes of the tiger comme sonnerie. A plusieurs moments on a une confrontation entre la culture des réseaux sociaux et le mode de vie de Bornéo, et on finit par pratiquement légitimer l'utilisation des réseaux sociaux. Comment voulez-vous que l'on croit en une action écologique aussi peu consciente de ce qu'elle met en scène ? On peut expliquer la chose en se disant que le réalisateur est allé à Bornéo, a côtoyé des habitants, et qu'il a retranscrit la réalité du terrain. Cependant, le film ne nous aide pas à nous investir, se reposant trop souvent sur le fait que l'on croit en ce que l'on voit car c'est exactement ce que le réalisateur a vu de son séjour à Bornéo... sauf que cela ne peut pas marcher. Le centre même du récit est avant tout le développement d'un personnage qui vit dans un récit mal écrit, le point de vu n'invite pas à s'intéresser aux habitants de Bornéo. Comment doit-on s'investir sur le sort de personnages que l'on voit en second plan et qui sont racontés à travers des éléments de souvenirs épars ? Les personnages chantent Tous les cris les SOS à répétition pour vaguement montrer qu'ils sont engagés pour la préservation de la forêt, mais à aucun moment on se sent investi à travers eux. On est constamment spectateur de ce que l'on voit alors que l'on devrait être au plus près de leurs préoccupations, et tout nous est montré avec un regard totalement déconnecté de la réalité. Tout cela peut se résumer dans un dénouement final qui est lunaire tant il semble idéaliste et inconscient des enjeux qui sont mit en scène.

Après que l'entreprise ait coupé des arbres de force devant la jeune fille qui a tout filmé avec son portable pour le publier sur instagram, un mouvement de foule sans précédent se créé au point que la radio locale soit informée et en parle à la radio le soir même (donc en moins de 24h, alors qu'avant les gens étaient ok jusqu'à présent). On pourrait se dire que cela pouvait en rester là, mais tient à les mérite du partage instagram en filmant le directeur à son insu alors qu'il menace la jeune fille avec un flingue. La morale du film devient: "Faites des story instagram, vous sauverez la forêt". Cela s'explique dans la volonté de promouvoir le projet numérique lié au film, et qui sera mis en avant avant le générique de fin (sur Tous les cris les SOS, évidemment) avec un écriteau invitant les spectateurs à "rejoindre le mouvement" en allant sur https://www.sauvages-lefilm.com/.

Plus que la bêtise évidente de cette fin qui semble déconnecté de la réalité (car promouvant des services et des réseaux sociaux en parti responsable de la situation écologique actuelle) et peut légitimement être perçu comme de la malhonnêteté intellectuelle (car utilisant un sujet de société pour générer de la visibilité sur un film qui semble être fait que pour profiter de ce sujet de société pour faire des entrées, on y reviendra plus tard), c'est un sentiment d'imbécilisation globale qui prédomine et laisse l'impression que le réalisateur ne prend pas son film au sérieux.


Le film est pour les 3 ans et plus, mais disons plutôt que le film a un langage qui considère le spectateur comme un enfant de 3 ans. On n'est pas dans une forme de pédagogie ou même de langage éducatif (ce que l'on attendrait d'une œuvre s'adressant à cette tranche d'âge sur un sujet de société), mais plutôt dans une forme de divertissement se voulant régressif qui finit par être rabaissant. On peut le voir à travers la manière dont est présenté Bornéo en restant à l'écart, depuis le point de vue d'un témoin qui ne fait que regarder, lui même raconté par un réalisateur qui reste totalement passif sur son témoignage de ses voyages à Bornéo. Tout ou presque est sujet à l'émerveillement et à une assistance vraiment pesante. Cela se ressent surtout dans la présentation des coutumes des habitants de Bornéo qui sont parfois inintéressantes au possible, notamment avec le claquement de langue qui signifie "Ok", mais qui sont appuyés une bonne dizaine de fois pour créer un décalage et une forme d'exotisme insistant. La culture et l'existence même des habitants de Bornéo sont montrés comme des exception, une anomalie qui n'arrive jamais à acquérir une forme de normalité car toujours pointé du doigt pour en dégager une réaction du spectateur. Cela renforce l'impression de méconnaissance de son sujet par un réalisateur qui semble tout aussi émerveillé et ignorant de l'univers qui met en scène, et cela ne sera pas aider de l'ambiance globale qui sous-entend presque un manque de sérieux de la part de son réalisateur. Certains éléments, détournant des codes que le film prend au premier degrés, paraissent presque comme des blagues se moquant du film lui même. Cela peut aller de la scène humoristique mal gérée dont l'humour est en trop, comme la confrontation de la jeune fille aux premiers dangers de la faune qui se résume à un gorille qui chie derrière un bosquet et qui pète, et dans une certaine marge, cela peut passer. Ce n'est pas très bien tourné, c'est très immature et scatophile sur l'instant, mais à la limite c'est une blague qui arrive au mauvais moment... pourquoi pas. Le soucis étant que le film ne se limite pas à cela. Il y a une scène où les personnages sont perdues, et ils crient à l'aide, ce à quoi une scientifique immigré les rejoint et leurs vient à leurs secours... celle-ci s'appelle Jeanne, du coup les enfants appellent Jeanne au secours. On peut se dire que c'est un jeu de mot (peu être même pas volontaire) moderne et vraiment pas fin pour ironiser sur un moment de tension et de cohésion, mais ce n'est pas le pire, car il reste le cousin (second personnage le plus important du film). Celui-ci s'appelle Selaï dans la société humaine et a un deuxième nom dans le monde sauvage de Bornéo à cause d'un lieux sacré qui doit être préservé de tout nom en provenance de la ville. C'est ainsi que Selaï, le personnage à l'origine du changement morale et narratif du personnage principal, se fait appeler quéquette par le personnage principal jusqu'à la fin du film. Outre le caractère humiliant et bas de plafond de surnommer quelqu'un "quéquette" (sans même vouloir approfondir et y voir un qualificatif réducteur et péjoratif se basant sur le pénis d'un enfant), je trouve que cette vanne (qui sera répété jusqu'à la fin du film) résume bien la lourdeur et le manque d'intérêt que manifeste le film sur son propre sujet. Le surnom vient du nom de Selaï dans le monde sauvage qui, phonétiquement, ressemble à "quéquette" de la même manière que des nom peuvent contenir des jeux de mots (comme Gérard Menvusa, Jade Orlaipied ou Jean Sairien). Peu importe la réelle signification du mot, ce que retient le film est ce que le personnage principal retient du nom, et celui-ci retient surtout l'ironie de s'appeler comme un nom de bite. Ce raisonnement résume pour moi tout le problème du film qui semble avoir été réalisé avec un regard profondément désintéressé par son sujet, soit par manque d'intérêt autre que pour l'esthétique et le cadre exotique, soit par manque de recul et de remise en question sur une lecture simpliste et faussé du sujet que l'on traite.


Sauvages de Claude Barras est une immense déception qui nous laisse perplexe face à certaines séquences se rapprochant presque du nanar façon Birdemic tant on souhaite porter un message écologique hypocrite sur un sujet dont on est visiblement mal informé. Un film face auquel on ne sait plus comment réagir, consternation face à un enchainement de séquences toutes ratés à leurs manières, et hilarité face à un film qui semble se moquer de lui même pour amuser les plus jeunes. Une séance ressemblant à une blague qui aurait pu être drôle si elle se prenait moins au sérieux et si elle ne faisait pas intervenir des enjeux aussi préoccupants.


6,75/20


N’hésitez pas à partager votre avis et le défendre, qu'il soit objectif ou non. De mon côté, je le respecterai s'il est en désaccord avec le miens, mais je le respecterai encore plus si vous, de votre côté, vous respectez mon avis.

Youdidi
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le 29 sept. 2024

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