Cette analyse a vocation à disserter sur l'ensemble de la saga saw, jusqu'au dernier effort Jigsaw. Spoilers inside.
Il est assez intéressant de suivre l'évolution d'une saga (d'autant plus dans le genre horrifique) et de constater l'évolution de la formule qu'elle propose. En parlant de la saga Saw, il convient bien sûr de faire la distinction entre le premier opus qui est une oeuvre d'auteur sachant qu'il tient un bon concept et voulant l'exploiter au mieux, jouant dès lors sur la tension et les twists de son scénario pour rythmer le récit avec maestria et roublardise. En bref, tout le monde aime Saw 1 et tout le monde crache sur les 2,3,4,5,6,7 et 8... Mais pourquoi alors sont-ils tout de même revus et qu'on en parle toujours ? Saw a clairement laissé sa marque dans le lynchage public, et cela ne semble pas près de finir...
Le gore est un plat de marshmallows
Les suites de Saw, dès le second, ont constaté qu'il sera impossible d'égaler le twist du premier, car il grille une caractéristique du tueur qui serait fatalement identifiée dans n'importe quelle suite. Il faut donc chercher un nouvel intérêt. Et fatalement, la pente de l'absence de frustration a fait son effet. En tant qu'amateur d'horreur, Saw 1 ne contient que peu d'hémoglobine, il ménage ses effets, cache le gore ou s'arrange pour qu'il n'aie pas lieu. Les suites font d'office sauter le verrou de la violence physique et s'abandonnent dès lors au caractère "ludique" de la série : un maximum d'épreuves violentes pour envoyer du lourd à chaque nouvel épisode. Mais avec Saw 2, il y a encore un mini-scénario qui tente de personnaliser les différents personnages, de tenir encore un peu le côté thriller qui faisait l'efficacité de son prédécesseur. C'est une chose qui sautera avec Saw 3, qui met en place la nouvelle formule de la saga Saw : des mini-jeux ultra-gores qui s'enchaînent en apothéose de violence. Adieu suspense, bonjour barbaque ! A ce stade, la saga bascule dans l'exploitation totale en recyclant le concept du jeu sadique et en capitalisant tout sur l'aspect spectaculaire des effets sanguinolents. Et c'est d'ailleurs pour cela que la saga SAW, unanimement conspuée, n'est pas décevante ! Elle a revue ses objectifs, elle sait ce qu'elle veut offrir : des visions graphiques toutes plus impressionnantes les unes que les autres ! C'est dès lors la surenchère, qui culminera avec avec Saw 7 3D, qui offrira clairement les visions les plus hard de la saga (avec enfin le piège facial en action).
Le culte de l'échec
Ce qui a jeté la saga dans les abîmes de la nullité, c'est principalement son renoncement progressif à fournir le moindre effort de scénario ou de personnage conséquent. En effet, à partir de Saw 4, la saga perd son principal élément logique avec la mort de Jigsaw. Ses (nombreux) remplaçants ne seront alors jamais au niveau de Tobin Hell, qu'on trouvait peu marquant dans les premiers épisodes, et dont le travail d'acteur se fait finalement sentir à rebours (C'est avec Jigsaw qu'on prend conscience de l'attachement et de l'empathie qu'il suscite). Associé à cette décadence d'enjeux, la grandiloquence de la surenchère gore a fini par aboutir à ce qui est le titre de la chronique. L'enjeu n'est plus de voir des personnages s'en sortir, mais échouer. On nous présente des victimes plus impersonnelles et insignifiantes les unes que les autres, et on nous les montre échouer, ce qui est alors prétexte aux scènes gores promises. C'est assez manifeste dans les épisodes 6 et 7 : en fin de film, les victimes des jeux sont tout simplement évacuées du récit sans qu'on ait la moindre conclusion à leur sujet. On a l'impression que leurs scènes ne sont même pas finies. Car on s'en fout, c'est le gore qui comptait, pas leur développement.
Avec cela, les films ont chacun développé pourtant des thématiques propres sensées enrichir la saga. Le 4 tentait de planter la succession, le 5 dissertait sur l'instinct de survie qui poussait à s'entretuer, le 6 sur les vilaines compagnies d'assurance et la logique de sélection, et le 7 culminait avec les querelles internes entre victimes de jigsaw (avec un twist qui violait un peu plus l'univers de la saga en salissant le travail de James Wan). Des scénarios de plus en plus stériles qui compensaient en offrant davantage de sévices (avec un coup de mou pour Saw 6), conscient de la mutation et donc assumant chaque fois plus manifestement le cynisme d’une formule décalquée à l’infini. A ce rythme, la lassitude était prévisible, pas assez rapide cependant pour arrêter le développement ultra rapide de la saga (7 films en 6 ans). Le cynisme et l’opportunisme commercial n’ont fait alors qu’attiser la critique.
Et après 8 ans, Jigsaw revient… et ce ne fût pas déplaisant. Je compléterai seulement la critique que j’avais rédigé à l’époque en ajoutant que la longue pause entre Saw 3D et Jigsaw a été doublement bénéfique, en cassant le cycle d’exploitation et en permettant aux esprits d’oublier un peu ce que la saga était devenu. Tout cela… pour tenter de tirer le meilleur de la formule de la saga. Des pièges revenant à l’essentiel, rudimentaires, une intrigue légère animée par des personnages sympathiques. Car c’est bien ce qui manquait à la saga depuis le premier épisode : des personnages attachants. Qui ici ne sont pas ceux qui sont au cœur du jeu (mais les victimes bénéficient ici d’un back ground plus étoffé et d’un peu d’humour venant aérer clairement la formule. Il en résulte alors un film aux révélations molles, mais qui se suit sans déplaisir et qui dégrossit clairement ce que Saw avait offert, remontant la qualité pour offrir enfin honorablement ce qui nous était vendu : tortures, leçons de morale et petites astuces vicieuses, enrobées dans une élégante photographie (qui surclasse toute la saga, Saw 1 inclus) et portée par des acteurs investis, se débarrassant enfin de cet aspect série télé qui entachait une saga peu reluisante.