Everybody Knows that the Dicks are loaded

Qu’il est pénible de faire face à ces films « dans l’air du temps ». Des films aussi fragiles qu’une bulle au contact de l’air : elle s’élève, attire les regards avant de disparaître aussi vite qu’elle est apparue. Il y a encore là quelque chose d’assez symptomatique de l’industrie actuelle ; le reflet d’une époque qui ne vise que le « scoop », la précipitation et les œuvres simplement illustratives. Dispensables, ces œuvres le sont. Mais elles sont bien là. SCANDALE semblait pourtant bâti sur de nobles intentions, se voulant incarner la « bombe » dans une société post-#MeToo où les abus de pouvoir se dénonceraient aussi frontalement que possible. Malheureusement, SCANDALE n’a rien du solide film étendard tant espéré et incarne davantage une sorte d’abrégé des chamboulements sociétaux de l’ère #MeToo.


Un bréviaire de prières connues par tous où la débâcle Roger Ailes serait mise au service d’une radioscopie des dérives de cette société. Car voici le programme de ce SCANDALE : la chute de Roger Ailes vue par ses victimes. Une question de point de vue, ni plus ni moins. C’est d’ailleurs sur cette notion qu’il se différencie du récent The Loudest Voice, mini-série revenant sur la trajectoire « rise and fall » du patron de Fox News. Mais SCANDALE débarque aussi pour nous dire une énième fois que la société est injuste, que des gros porcs la dirigent ou que nous vivons dans un monde de manœuvres, de manipulations et de dominations. Une société faite d’ententes à l’amiable et de crimes impunis, là où les véritables prédateurs toucheront toujours plus que leurs victimes. Un monde où la croyance politique n’est qu’une illusion pour grappiller des parts de marché. C’est vrai, on le sait et ce discours semble être lui aussi arrivé à bout de course faute de renouvellement dans l’approche. SCANDALE pâtit ainsi de son manque de nuance. Impossible d’échapper à son époque, dira-t-on.


SCANDALE s’évertue donc à pointer du doigt les mêmes responsables de ce système machiste s’étendant bien au-delà d’un plateau de télévision. Une balade dans les rouages d’une industrie « visuelle » où les jupes ne sont jamais assez courtes et les talons jamais assez hauts pour aguicher l’œil du spectateur ou du producteur. Son angle politique est pour le coup parfaitement clair, et c’est peut-être là sa seule qualité : savoir capter une époque de malaise où la libération de la parole se doit d’être la détente pour attaquer le système. Mais SCANDALE semblerait presque harceler son spectateur en se faisant passer pour ce qu’il n’est pas. L’apparente espièglerie de la narration ne dissimule ainsi pas les failles de ce banal condensé des faits.


Jay Roach, spécialiste de la singerie cinématographique (l’hilarante trilogie Austin Powers), réalise ici une bien sage acrobatie. Incapable de puiser en lui la singularité nécessaire à un tel sujet, il emprunte à Adam McKay sa légèreté corrosive (The Big Short ou Vice) pour n’insuffler à SCANDALE qu’un arrière-goût de pamphlet féministe sans inspiration. Car il ne suffit pas de reprendre ces ruptures de tons et de rythme pour faire un film prenant, encore faut-il du génie ou un minimum de talent. En jouant sur ce format entre documentaire et fiction, Roach ne fait qu’effleurer cette déconstruction de l’apparence et ne s’attache qu’à du factuel sans véritable prise de recul. Le film semble ainsi constamment tiraillé entre ses envies de divertissement et son exposition des faits : le traitement tout en légèreté empiète ainsi parfois sur la froideur des actes dont le film se fait le relai. Triste qu’un film sur le harcèlement se transforme lui-même en sa propre parodie. L’émotion peine ainsi à émerger dans ce film qui ne laisse jamais entrer véritablement le drame au cœur de sa narration. Le film ne tire jamais rien des questions qu’il pose ; et n’exploite qu’en surface cet environnement de prédateurs, de domination et de contrôle de l’apparence.


Enchaînant les perspectives à travers des personnages-types, il se sert ainsi davantage de ses héroïnes comme des prétextes pour faire avancer l’intrigue. Grave erreur. Car c’est justement ce manque d’épaisseur dans la caractérisation des personnages qui enlève toute prise ou accroche du spectateur au récit. Toute cette épaisseur manquante semble avoir été transférée dans les prothèses – élaborées – des acteurs. Puisque l’intérêt de SCANDALE repose presque entièrement sur son casting : derrière ces trois femmes (in)soumises (qui n’ont rien à voir avec celles de Robert Altman) et cette masse de scélératesse qu’est Roger Ailes, se cachent d’immenses comédien.nes. C’est une véritable commedia dell’arte qui se joue sous nos yeux : des acteurs enfilant des masques pour mieux disparaître au cœur de la représentation. Du glamour, du maquillage, des prestations, et voilà. John Lithgow parvient ainsi à synthétiser la perversité d’une époque en un simple jeu de regards : sa métamorphose derrière cet ogre du « tripotage » est saisissante. Tout comme Charlize Theron disparaissant littéralement derrière les traits de la présentatrice vedette Megyn Kelly ; et Nicole Kidman, admirable en Gretchen Carlson. Mais ce serait également oublier l’immense talent de Margot Robbie, fascinante dans son rôle (fictif) de fausse ingénue se heurtant à la réalité du harcèlement d’entreprise.


Quelque chose proche de l’hystérie se dégage parfois de SCANDALE ; une dynamique qui empêche parfois l’information et l’émotion de clairement se poser. Du rythme, le film en redemande ; constamment en train de courir un marathon dans les rouages de cette télévision. Le film de Jay Roach manque cependant de ces moments de respiration pour mieux nous étouffer avec la perversité de son récit ; à l’instar du silence écrasant d’une descente d’ascenseur (lieu-métaphore des fluctuations de carrière dans une telle entreprise). Une seule scène se montrera d’ailleurs véritablement mémorable ; celle où la froideur de l’acte contamine entièrement les plans. Une scène douloureuse, aussi bien pour le personnage que pour le spectateur, où le harcèlement est enfin traité de manière frontale et visible : dans une confrontation Roger AilesKayla (Margot Robbie), l’heure est au dérapage et aux jupes raccourcies. Et c’est au travers du regard expressif de Margot Robbie que toute la violence de la scène se déchaînera : une défloraison du regard, une totale perte d’innocence, une scène concentrant toute l’horreur du harcèlement par abus de pouvoir. Le malaise est palpable ; et à raison. Néanmoins, c’est de cette froideur dans le piège qui se referme sur ses héroïnes dont SCANDALE manque cruellement. Peut-être est-ce aussi l’objectif du film de ne pas se complaire dans les souffrances pour permettre à l’espoir de s’immiscer afin de se relever et de guérir de cette situation.


SCANDALE promettait d’être agressif. Il n’est finalement qu’une conversation de couloir autour d’une actualité brûlante. Soumis à la stratégie du marteau, le film enfonce le clou sans jamais savoir réellement où frapper ; et nous laisse globalement de marbre face à un sujet qui devrait nous remuer, nous malmener et nous questionner. Un film qui se voudrait donc explosif pour n’être au final qu’un pétard mouillé incapable de faire autre chose que du bruit. Et encore, la détonation se fait relativement silencieuse ; le comble pour une œuvre qui se voudrait porteuse d’une libération de la parole. Manque certainement la griffe d’un cinéaste militant et concerné pour faire de SCANDALE une œuvre marquante. Derrière la caméra de Jay Roach, tout devient banal. La rigueur sans la fougue, d’une certaine manière. Ludique, décontracté, questionnant un système pour mieux le combattre, SCANDALE ne manquera pourtant pas de toucher son public, c’est certain. Mais il lui manque cette prise de recul nécessaire pour rendre sa mécanique véritablement efficace. En sortant de la salle, ni rage ni colère, juste de l’indifférence face à un film qui n’échappe pas à « l’air du temps ». Redistribuer les cartes ? Pas vraiment.


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blacktide
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le 21 janv. 2020

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