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Peu de temps après le remarquable Chien Enragé, Kurosawa propose Scandale, où il est question d'un peintre et d'une jeune chanteuse piégés par un journal à sensation qui va créer une idylle...
le 6 mars 2017
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L’idée de réaliser Scandale est partie d’une expérience de Kurosawa avec la presse à scandale. Il en a tiré ce film. Mais au delà d’une banale histoire de presse et de paparazzis, Kurosawa nous parle du rapport au réel et du regard que l’on pose sur ce qui nous entoure et sur soi.
Ichirô (Minfune) est un peintre connu. Quand on fait sa connaissance, il est en train de peindre une montagne en extérieur, tandis que des badauds viennent faire leurs commentaires. Ils critiquent son œuvre car elle ne correspond pas à ce qu’ils voient :
En fait, vous êtes un excentrique… comme votre peinture d’ailleurs
On dirait que le Mont Kumotori danse.
Ce à quoi il répond :
La montagne, ça bouge. Si on regarde bien, la montagne bouge.
Le peintre est celui qui ouvre les yeux de ceux qui ne savent pas voir. Le groupe autour de lui se relève et regarde alors attentivement et autrement.
Sa capacité de voir autrement que les autres, ne se limite pas à la nature, elle s’étend aux personnes qui l’entourent. C’est ainsi que Ichirô choisit de faire confiance à un avocat (Takashi Shimura) jugé douteux, mais lui rétorque :
En regardant bien, on voit qu’il a un beau regard.
Pas étonnant que ce peintre « clairvoyant » se prenne d’amitié pour la jeune fille de l’avocat, tuberculeuse et condamnée à rester allongée toute la journée. Elle aussi sait voir ce que les autres ne voient pas et entendre ce qu’ils n’entendent pas :
Les gens pensent que je dois m’ennuyer, dans ce jardin de poche, il se passe tant de choses : les fleurs s’ouvrent, l’ombre des nuages passe et les oiseaux chantent.
Mais il existe un autre type de regard, celui de la presse à scandale qui s’empare de tout pour le transformer et le tordre, un regard qui ne cherche pas la beauté dans les choses, mais qui cherche comme son nom l’indique : le scandale. Soit dit en passant s’il n’y avait pas de lecteurs pour se repaître de ce genre de presse, il n’y aurait plus de presse à scandale ! Et voilà que dans cette histoire, Ichirô rencontre une célèbre cantatrice Miyako. Ils se trouvent pris tous les deux en photos alors qu’ils discutent tranquillement et aussitôt la presse s’empare de l’événement inexistant pour annoncer une idylle inexistante ! Presse du mensonge, presse du bruit, du tapage, presse qui tourne à vide mais ça fonctionne !
Et puis il y a le regard que chacun pose sur soi. Ainsi l’avocat qui se dégoûte lui-même :
Je suis foutu, je suis nul.
et il y a la représentation qu’on se fait du regard que les autres portent sur soi. Ainsi l’avocat parlant de sa fille :
Elle a de si beaux yeux ! Quand elle me regarde avec ces yeux là, je voudrais me cacher dans un trou.
Perception amère de soi, d’autant plus quand elle se fait ressentir une nuit de Noël… Et une fois encore c’est le peintre qui ouvre les yeux, il tire l’avocat de son marasme en le conduisant au bord d’une mare sous un ciel étoilé :
Regarde, vieux ! Un miracle ! Une étoile est tombée dans cette mare pleine de boue.
Tandis que la caméra nous montre le reflet des étoiles à la surface de la mare. Une mare qui n'est pas sans évoquer à ceux qui l'ont vu : L'Ange ivre. Une image décidément parlante pour Kursosawa.
Scandale repose sur peu de choses : une histoire de « scandale » inventé par la presse et des personnages qui posent chacun un regard différent sur le réel. Il y a ceux qui voient, ceux qui ne voient pas et ceux qui font voir ce qui n’existe pas. Ceux qui aiment la beauté, ceux qui courent après l’argent. Et il y a les faibles qui tanguent et peinent à prendre position, c’est la situation de l’avocat, personnage clé et pivot de l’histoire.
A travers cette histoire simple, Kurosawa réussit à tirer une histoire riche en complexité humaine. Ce qui intéresse ici le réalisateur, c’est davantage ses personnages que le fonctionnement même de la presse. Et finalement Kurosawa c’est ce peintre qui, tel Ichirô, sait nous montrer la beauté dans l’ordinaire, nous attacher aux gens simples, tirer une histoire d’une banalité, nous montrer une étoile au fond d’une mare une nuit de Noël !
Bon Noël à tous ! Je souhaite à chacun de voir au fond de sa propre mare et de celle des autres, l'étoile qui y brille!
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Créée
le 24 déc. 2022
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