Une leçon de cinéma

Dans la petit cinquantaine de Godard que j'ai vu dans ma vie, Passion devait être parmi les premiers, et peut-être même le premier avec Détective de sa période Miéville et j'avais adoré. Forcément depuis le film je l'ai oublié, je me souviens juste des tableaux recomposés et ça m'avait fortement marqué.

C'est donc sans trop me souvenir que j'attaque ce documentaire (?) signé Godard sur son propre film. C'est rare les making of intéressants, encore plus rares sont ceux qui ne vont pas déflorer le truc et lui faire perdre toute sa magie et encore plus rares sont ceux qui atteignent le statu d'oeuvre à part entière, vous devinerez sans peine que ce Scénario du film Passion fait partie de cette catégorie.

Godard m'avait déjà soufflé avec son court film sur Je vous salue Marie que j'avais préféré au film lui-même, là je ne saurai pas dire si j'ai préféré le documentaire à Passion vu mes maigres souvenirs, mais c'est un film indispensable, ça c'est certain.

On devrait montrer ce film à tous ceux qui veulent faire du cinéma, juste pour qu'ils voient comment se conçoit un film, comment se pense la mise en scène, comment se pense le scénario. D'ailleurs Godard commence le film par une anecdote plutôt amusante sur la naissance du scénario (va-savoir si elle est vraie) où il explique qu'au début on tournait comme ça, un policier, une baigneuse, un amoureux... Et puis ça coûtait de l'argent, le comptable avait besoin de savoir ce qui se passait alors on écrivait les sommes que "coûtaient" ces gens et puis on a fini par écrire le scénario. Ludique.

Faut dire que le film est vraiment drôle, j'ai adoré ce passage mythique où Godard explique la différence entre son dispositif à lui où il regarde son écran blanc et le speaker à la télé qui tourne le dos aux images. La différences, c'est que tourner le dos aux images c'est le meilleur moyen de se faire enculer (sic). J'ai tellement ri.

Mais le plus grandiose dans ce film, c'est que ça a beau parler d'un autre film ça peut être pris de façon totalement indépendante et même je dirai qu'il faut le voir avant de voir Passion pour voir ce qu'il veut faire et pourquoi il fait ça (sinon les moins ouverts d'entre vous viendront pleurer et chouiner : "on comprend pas"). Mais mieux encore, c'est un film sublime sur la création, voir Godard t'explique pourquoi tel mouvement de caméra parce que la musique est comme ça à ce moment précis, c'est juste génial.

Pendant tout le début du film je tremblais, Godard face caméra, tirant sur sa cigarette, saccadant ainsi son rythme de parole c'est une expérience tellement vive ! Ce film est un peu le mystère Picasso de Clouzot, on voit ce qui se passe dans la tête du génie sans jamais que ça ne le démystifie, on touche au divin sans jamais l’endommager et ça c'est formidable.

Godard dans sa salle de montage va donc nous faire vivre la création du scénario de son film et avec un sens de la poésie qui n'appartient qu'a lui, superposition d'images de son film (animées ou non) avec des tableaux de maître, expliquant le lien entre les deux, jouant sur la transparence pour montrer où il se situe lui dans le cheminement, où il veut arriver... et pour finir le voir comparer un tableau (dont j'ai oublié le nom) avec le travail d'une ouvrière à cause des gestes de l'ouvrière et du mouvement des corps des personnages du tableau c'est juste sublime.

Il y a énormément de leçons à en tirer, pas pour l'imiter, mais pour s'inspirer, on sortirait ainsi des films qui se ressemblent tous qui sortent à la pelle et qui s'oublient aussitôt sorti de la salle avec la bouteille de Coca à la main.

C'est vraiment complètement bluffant, je ne m'attendais pas à voir ça. Je verrai sans doute du coup le documentaire sur Sauve qui peut la vie, même si c'est l'un des Godard que j'ai le moins aimé, parce que si c'est du même acabit... ça peut aller très loin !