Ce réal qui leurre...
Sur le papier, Schizophrenia avait tout pour sentir la bobine casse gueule : son sujet, une voix off, son affiche, la traduction de son titre en français ; et surtout une réputation de film...
le 3 mai 2013
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On a beau tenter de dépasser les clichés lorsqu’on se retrouve face à des œuvres d’art, on ne peut s’empêcher, face à Angst, de conclure qu’il n’y a vraiment que les autrichiens pour nous proposer de telles choses.
Soit l’immersion dans la conscience d’un psychopathe, à partir de sa sortie de prison, et au fil de sa cavalcade dont l’unique mobile est de donner la mort. Gerald Kargl se donne un mot d’ordre, celui d’un réalisme brut dénué de toute pose susceptible de séduire.
Le récit, si tant est qu’on puisse qualifier de telle une entreprise aussi laborieuse, se déroule pratiquement en temps réel, n’épargnant aucune des étapes du sinistre projet du protagoniste. Alors que les ellipses permettent généralement de sélectionner les passages les plus vivaces ou cathartiques, Kargl prend au contraire soin de restituer chaque geste, l’intégralité des déplacements dans une demeure dont on connaitra assez rapidement toute la géographie complexe, un peu à la manière dont Kubrick dessinait l’architecture de son hôtel dans Shining. Mais ici, le lieu n’a pas sa propre âme, car tout en dénué. Les victimes ne crient pas, les temps morts gangrènent le thriller pour aboutir à une nouvelle forme d’épouvante, bien plus glaçante.
Le film est ainsi quasiment dépourvu de paroles intradiégétiques : dans un premier temps, c’est le règne du regard, notamment dans cet échange extrêmement malaisant dans le restaurant, au fil de gros plans qui suggèrent l’obscénité et le regard désaxé du malade, puis l’absurdité destructrice des gestes qui prend en charge les échanges avec autrui.
Mais Kargl souhaite cependant qu’on resserre nos liens avec son personnage, et recourt pour cela à une voix off constante, sorte de récit a posteriori, qui pourrait s’apparenter à une déposition. Choix délicat, qui n’est pas forcément toujours judicieux, occasionnant quelques redondances : dans les actes les plus abjects, le tueur évoque ainsi son passé, comme pour expliquer les traumas à l’origine de sa folie. Mais lui donner la parole permet aussi de développer quelques éléments fondamentaux de ses motivations : mettre en scène de façon la plus rationnelle possible la mort, et surtout, avoir des spectateurs qui, avant de devenir ses victimes, assisteront à la barbarie pour en concevoir tout l’effroi. Une de ses obsessions est la suivante : il veut que ses proies sachent ce que mourir signifie.
La mise en abyme est évidente : ce sens de la mise en scène (qui souvent dérape, car le tueur tue plus vite qu’il ne le voudrait, emporté par ses passions et improvisant en fonction des mécanismes de défense de ses victimes), cette volonté de montrer sans détour la mort sont autant de renvois au projet de Kargl, qui est de nous glacer le sang face à la folie pure.
Et il ne ménagera pas ses efforts dans sa propre mise en scène. Accompagné par une ligne synthétique très cold wave qu’on doit à Klaus Schulze, sa caméra joue toutes les modulations imaginables du regard oblique et clivé du psychopathe. À grands renforts de grue, de travellings, les plans en plongée, contre plongée nous mettent dans une position toujours privilégiée par rapport à l’action. Mais il s’agit moins, pour Kargl, de nous faciliter l’expérience de spectateur que de faire de nous des complices non consentant. Rivés à ce temps réel qui ne nous épargne ni les ratés, ni les répétitions, qui nous donne la mesure du terrible poids des cadavres, nous accompagnons la folie de cette escapade qui parvient pourtant à ne jamais réellement sombrer dans le voyeurisme complaisant.
La réussite tient sur ce fil ténu et glacial : un regard clinique et dépassionné sur les méthodes et les motivations d’un homme qu’on ne pourra de toute façon pas comprendre. Kargl nous aura permis, durant 80 minutes, d’approcher du gouffre pour prendre la mesure de sa profondeur.
(7.5/10)
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le 6 nov. 2017
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