Thomas Arslan (16 juillet 1962, Brunswick - ) est un réalisateur complexe, imprévisible, et qui réussit, quel que soit le genre cinématographique abordé : si nombre de ses longs-métrages, premiers ou plus récents, l’ont porté vers des thématiques familiales, parfois non exemptes d’une dimension sociale (Geschwister 1997, Dealer 1999, Der Schöne Tag 2001, Ferien, Chronique d’un été 2009, Nuits claires 2017), il s’est également tourné avec une maestria impressionnante vers le western, dans l’inoubliable Gold (2013), ou le policier, traité de manière aussi singulière que fascinante, avec le magnétique Im Schatten (2010), conçu comme le premier volet d’une trilogie, ou, ici, Terre brûlée (2024), envisagé comme un second volet, toutefois parfaitement détachable.
On y retrouve Trojan, incarné par un Misel Matičević intense et mutique, et regagnant Berlin, poussé par la nécessité pécuniaire de s’y voir confiée une nouvelle mission. On l’avait quitté, à la fin de Im Schatten, plongeant précisément « dans l’ombre »… Le jeu du héros, aussi efficace que peu disert, l’œil furtif et aux aguets, n’est pas sans évoquer, comme, déjà et surtout dans le volet précédent, celui d’Alain Delon, dans Le Samouraï (1967), de Jean-Pierre Melville. Mais le climat, l’image, ici de Reinhold Vorschneider, sont plus sombres, et plongent même de l’ombre à l’obscur d’un volet à l’autre. Les scènes de nuit dominent à présent, faisant affleurer dans le visible la difficulté du héros à accéder de nouveau au jour dans le milieu du grand banditisme qui était le sien.
Car les traîtrises, tromperies, entourloupes, parjures, abondent, visant Trojan ou ses complices, réunis autour du projet de dérober l’une des œuvres de Caspar David Friedrich, Femme devant le coucher de soleil (1818), au profit d’un collectionneur privé n’ayant guère plus de morale que les criminels qu’il emploie. Comme si le film était gagné par la nostalgie qui nimbe les tableaux du grand maître romantique allemand. Une nostalgie ayant trait à la perte des valeurs, au-delà de la valeur marchande des biens matériels… À qui se fier, si la parole, l’engagement, le code d’honneur sont à ce point démonétisés ?
Si la défiance, et à juste titre, règne en maître, la confiance semblera cependant parfois possible - mais de façon peut-être trop imprévisible pour être réellement exploitable… -, au sein d’une galerie de portraits peignant subtilement les seconds couteaux : Marie-Lou Sellem (Rebecca), en femme d’affaires retorse, Marie Leuenberger (Diana), en pilote virtuose, énigmatique à souhait, Alexander Fehling, que l’on a la surprise de découvrir en vrai grand méchant, incarnant son personnage comme s’il n’avait jamais joué que ce type de rôle…
Thomas Arslan signe là une œuvre crépusculaire et envoûtante, habitée de silence et sporadiquement traversée par l’ombre d’une musique qui ne serait pas sans évoquer les accompagnements du Bashung tardif.