Quel est l’intérêt de réaliser un nouveau Scream en 2022 ? La saga avait déjà bénéficié d’un quatrième opus qui avait tendance à piétiner, thématiquement parlant comme en terme de développement de personnages, et le genre du slasher ne ramène plus autant de monde en salle qu’avant. Qu’il s’agisse de réactivation critiquée d’anciennes sagas cultes (Halloween, Child’s Play : La Poupée du mal, Black Christmas) ou de simples répétitions des codes du genre dépassés depuis les années 90 (Happy Birthdead, You’re Next), la sortie d’un slasher ne symbolise plus l’évènement gras et régressif, véritable plaisir adolescent, qu’il constituait auparavant. Pour beaucoup, c’est justement le premier Scream qui aurait tué le genre : avec son discours méta et son aspect formel maîtrisé, le film de Wes Craven parvenait à la fois à amener ses propres codes jusqu’à leur paroxysme tout en les explicitant. Comme une manière de livrer au spectateur toutes les cartes potentiellement jouables dans un slasher, tout en les tuant dans l’œuf. Difficile de refaire un slasher après un tel attentat au genre. Plus tard, l’arrivée de « l’elevated horror » (avec des films comme Hérédité, The Witch, Midsommar, Mister Babadook, etc…), traitant de thématiques plus complexes sans forcément mettre l’accent sur la peur distillée par le film, engendrera de nouvelles attentes chez le spectateur, qui se détournera peu à peu de ces spectacles morbides et sans fonds que sont les slashers, désormais relégués à de simples souvenirs de l’adolescence.
C’est avec tout ce bagage qu’arrive Scream 5 (que je me refuserais à appeler Scream), tout d’abord imaginé comme le second opus d’une nouvelle trilogie débutée avec Scream 4, avant que les chiffres décevants générés par ce-dernier n’annule le projet. Pendant des années, Scream 5 stagnera dans son processus de développement et l’avenir de la saga demeurera incertain jusqu’à la mort de son créateur et architecte principal : Wes Craven. Le corps de Craven était encore chaud que les discussions concernant un nouvel opus reprirent de plus belle, jusqu’à ce que le groupe Spyglass Media Group, désormais détentrice des droits de la licence suite au rachat de la Weinstein Company, mette définitivement en chantier la réalisation du projet.
Ainsi, le 14 janvier 2022 arrive sur nos écrans la suite inattendue (dans tous les sens du terme) d’une saga devenue culte, pour la première fois réalisée par quelqu’un d’autre que Craven, et se revendiquant d’être l’héritage ultime de celle-ci, comme en témoigne son titre : Scream.
La question posée en préambule de cette critique aura rythmé l’entièreté de mon visionnage du film. Certes, on ne peut reprocher aux deux réalisateurs Matt Bettinelli-Olpin et Tyler Gillet (déjà à l’œuvre pour Wedding Nightmare) de vouer un culte quasi-divin au film de Wes Craven, au point d’en multiplier les références et jeux de miroirs, mais cette adoration pour le matériau d’origine représente précisément ce qui empêche ce nouveau film de se créer une identité propre.
Nous attachant à une nouvelle bande de jeunes écervelés prêts à se faire éventrer un par un, l’action est une nouvelle fois placée à Woodsboro, comme un aveu de manque d’originalité qui traverse la saga depuis le quatrième opus. Et ce manque d’originalité se fera ressentir sous plusieurs aspects : qu’il s’agisse des scènes de mise à mort expéditives, des personnages manquant cruellement d’épaisseur ou encore d’un besoin envahissant d’expliciter sans cesse l’idée qu’il ne s’agit pas, ici, d’un film issu du mouvement de l’elevated horror, mais bien d’un slasher old fashion con comme la lune. A ce sujet, certaines lignes de dialogues sont confondantes d’absurdité, notamment lors de la scène d’introduction qui voit la confrontation entre une jeune adolescente fan de Mister Babadook discuter avec Ghostface, qui lui promettra un bon slasher à l’ancienne. Ou comment annoncer à son public qu’il ne faudra s’attendre à aucune subtilité de la part du divertissement qu’il s’apprête à visionner.
Les ressorts horrifiques ne parviendront pas, eux non plus, à relever le niveau, car il ne s’agira au final que d’une dizaine de jeux de cache-cache (déjà vu depuis le premier opus) que l’on alignera à la suite en guise de scènes censées être terrifiantes. Un protagoniste ouvre une porte, le tueur se cache-t-il derrière ? Non. Oh attention, le voilà qu’il ouvre son frigo ! Le tueur va-t-il l’attraper cette fois-ci ? Non plus. Au bout de la neuvième feinte comme celles-ci, le spectateur constatera, avec un grand désarroi, qu’il lui importe peu de voir Bobby (ou peu importe son nom) se faire étriper après avoir ouvert la dix-septième porte de sa maison de petit bourgeois américain vivant en banlieue bien sous tout rapport. Ajoutez à cela quelques problèmes de découpages qui témoignent d’une piètre gestion des comédiens dans leur espace, et le désintérêt profond de l’audience pour ce qu’il se passe à l’écran sera palpable.
Dans cet océan de médiocrité, les personnages ne sont pas en reste, tant Scream 5 ne sait pas sur quel pied danser, entre faire plaisir au fan-boy hardcore en ramenant le trio original des quatre films précédents, ou dévoiler une nouvelle dynamique avec un groupe de personnages flambants neufs. Il se terre donc dans une sorte d’entre-deux contre-productif, qui empêche Sidney, Dewey et Gale d’amorcer le moindre développement et parvient, pendant quelques minutes, à nous faire oublier l’existence de ses nouveaux protagonistes tant ceux-ci sont transparents. Le script redoublera bien de (fausse) malice afin de titiller le spectateur, que ce soit par ses multiples twists (dont certains seront dévoilés littéralement cinq minutes après avoir été teasés) ou encore par ses retournements de situation qui obligeront nos comédiens désincarnés à faire le tour des lieux les plus pittoresques de Woodsboro, comme une sorte de tourbus : l’hôpital, le bar, la banlieue, re-l’hôpital et pour finir la maison de Stu Macher, berceau de l’immense séquence finale du premier opus.
Petite parenthèse concernant la mort de Dewey, l’un des personnages principaux de la quadrilogie d’origine. Bien que je ne puisse nier qu’il s’agit, sans nul doute, d’un évènement marquant dans la continuité de la saga, j’ai néanmoins l’impression que cette mort soudaine fait office de cache-misère. Le non-développement des personnages du trio d’origine était tellement flagrant qu’il a fallu pallier à cela, en donnant ainsi la mort à l’un des trois et offrir un traitement artificiel aux deux survivants, comme pour éviter d’avoir à les ramener pour rien. Cette parenthèse réservée au spoil aurait également pu être l’occasion pour moi de parler du retour de Billy Loomis en tant que fantôme du passé… Mais l’idée me semble tellement stupide, dit comme ça, que je préfère passer à autre chose.
Tous ces défauts auraient pu faire de Scream 5 un film particulièrement détestable et dénué d’intérêt si, entre les lignes, on ne pouvait distinguer une certaine note d’intention. Car lorsque l’on s’attaque à un nouvel opus de Scream, un discours méta est presque attendu, chose que les deux réalisateurs n’ont pas oublié. Ainsi, avec la délicatesse d’une bombe H larguée dans une crèche, ce cinquième opus ne lésinera pas sur le fait de marteler un discours balbutiant, maladroit, visant certains fans dits « toxiques ». Ceux qui mettent un point d’honneur à ce que leurs univers et personnages soient respectés et représentés comme ils se l’imaginaient à la lettre, ceux qui chouinent à la destruction de leur enfance dès qu’une originalité est commise dans leur saga culte, ceux qui maintiennent, durs comme fer, qu’en définitive, « c’était mieux avant ». Cette intention sera d’ailleurs explicitée lorsque l’un des protagonistes lancera la bande-annonce de Stab 8 (les Stab représentant, dans le lore de la saga, des films inspirés des évènements des Scream précédents) considéré, par les personnages, comme le pire de la licence, et que l’on constatera avec amusement que le nom du réalisateur de cet opus n’est autre que Rian Johnson. Ce-dernier, ayant réalisé le huitième épisode de la saga Star Wars, a été la victime d’une vague de haine suite à la sortie des Derniers Jedi ; il sera même considéré comme celui qui a ruiné la saga aux yeux de millions de fans, celui qui a détruit leur enfance, leur a annihilé tout espoir et leur a probablement volé leur goûté au passage. Scream 5 se veut donc être une critique d’une partie du public qui a tendance à vénérer, avec excès, certaines licences (et particulièrement les premiers opus de ces licences) au point d’en demander une simple et bête répétition.
Malheureusement, coupé à ce discours pseudo-subversif, le film ne cesse de nous répéter qu’il s’agit bien d’une suite sans imagination, mise en chantier par profit, comme s’il s’agissait justement, ici, de satisfaire ces mêmes fans toxiques que le long-métrage pointe timidement du doigt.
Scream 5 est, au final, une espèce de créature hybride entre la passion et le cynisme, sorte de créature de Frankenstein dans laquelle les deux réalisateurs auraient mis tout leur amour pour le premier volet ainsi que leur note d’intention et les producteurs y auraient distiller leur mépris du consommateur. On en revient à la question dressée en préambule : quel est l’intérêt de réaliser un nouvel opus de la saga Scream en 2022 ? Aucun, et ce Scream 5 vient de nous le prouver.