La douleur et le deuil sont toujours des éléments clés du cinéma de Lee Chang-Dong ; mais il semblerait qu’à mesure que se déroule sa filmographie, la manière de les exprimer s’estompe dans une maturation tout à fait bienvenue. Secret Sunshine est ainsi récit de deuil, qui combine deux forces antagonistes : la mémoire et l’oubli, la douleur et l’apaisement, la persistance et la rédemption.
Le deuil lui-même est double : c’est dans un premier temps l’arrivée un peu saugrenue d’une jeune veuve et son fils dans la ville natale de son défunt mari, dans laquelle elle élabore des possibilités d’un renouveau. Le nom de la ville, Miryang, évoque le titre, à savoir un « ensoleillement secret », et résonne comme une promesse de reconstruction. On retrouve la capacité de Lee Chang-Dong à créer, sur un récit au long cours, des personnages touchants et complexes, à l’image de ce garagiste qui va devenir une sorte d’ange gardien, à la fois soupirant et ami, jouant un rôle mais profondément sincère dans son accompagnement.
Mais tout ceci ne compose que le premier pallier d’un parcours destiné à être bien plus torturé. Alors que les prémices d’une reconstruction s’élaborent, et font de Shin-ae un personnage féminin vibrant de présence, la tragédie la foudroie et la contraint à une nouvelle immersion dans les arcanes de la douleur.
Alors qu’on pouvait s’attendre à une explosion pathétique plutôt légitime, le film suit des développements autrement plus subtils. Certes, l’expression de la douleur est au rendez-vous, mais c’est surtout les moyens proposés pour l’endiguer ou la sublimer qui vont être ici questionnés. Dieu, explique-t-on à la mère éplorée, est dans chaque rayon de soleil, habile renvoi au nom de cette ville qui semble dont à la fois mortifère et détentrice de sa rédemption. D’abord dubitative, Shin-ae s’engouffre à la faveur d’une cérémonie expiatoire impressionnante : quand le cri se fait, le sacré prend en charge la catharsis et dessine les traits d’un nouveau chemin.
La posture est dès lors ambivalente : le spectateur a du mal, pendant un certain temps, à déterminer la position du cinéaste par rapport à cette instance religieuse : prosélytisme ? ironie ? Distance prudente, plutôt, car l’on ne peut se raisonnablement pas totalement adhérer à cette épiphanie un peu trop « ensoleillée » pour être sereine.
Le retournement qui va permettre un véritable nœud réflexif sur cet engagement nouveau est tout à fait passionnant.
(Spoil)
Alors qu’elle pense avoir atteint le sublime, Shin-ae se dit prête à aller voir l’assassin de son fils en prison pour lui accorder son pardon. Devant lui, elle s’entend dire qu’il a lui-aussi rencontré Dieu et que celui-ci lui aurait pardonné. Formidable redistribution des cartes qui dépossède la victime de la grandeur qu’elle voulait dispenser, et qui questionne évidemment les petits arrangements qu’un esprit désespéré peut faire avec l’irrationnel à choix multiple qu’est la foi…
Ce point de bascule propulse une renaissance violente et douloureuse qui se fera par le corps : sa révolte passera par une tentative presque démoniaque de réinsuffler la chair dans l’univers éthéré de la foi, avant l’expression d’une douleur dans les spasmes violents d’un organisme incontrôlé.
La fin, comme souvent chez Lee Chang-Dong est un point suspendu sur une trajectoire qui fut chaotique. Alors qu’émerge une forme d’apaisement physique, il est difficile de déterminer les voies que pourra prendre l’esprit. Mais la lumière est toujours là, notamment dans la présence de cet ange gardien qui n’avait pas besoin de Dieu pour l’accompagner.
(7.5/10)