À l’heure de « Me too » et des hordes de femmes, forcément pas désirantes, faisant la guerre à des hordes d’hommes, supposés hyper désirants et arborant leur libido en étendard (soyons clair : il est plus que nécessaire de dénoncer les vrais abus, les viols… L’affaire paraît déjà moins nette lorsque l’accusé est fortuné et que son accusatrice, des dizaines d’années après les faits, éprouve soudain l’urgence d’une réparation financière… Mais pourquoi pas… dans certains cas… selon l’arrêt du jugement… Alors que la vindicte publique semble, dans tous ces cas-là, faire fi de la présomption d’innocence…), à l’heure de « Me too », donc, il est incroyablement rafraîchissant, régénérant, consolant, de voir une jeune fille (dix-neuf ans lors du tournage, seize ans au compteur de l’héroïne) clamer son aptitude au désir pour un homme qui doit avoir le double de son âge.


Attention, ne pas s’emballer ! Le désir exposé ici reste fort chaste. Mineure / majeur de part et d’autre de ce désir, la prudence est de mise. Mais tout de même. L’adolescente (Suzanne Lindon elle-même, véritable femme-orchestre de son entreprise cinématographique, à la fois scénariste, réalisatrice, principale protagoniste, monteuse adjointe, et même chanteuse sur le générique de fin), qui s’ennuie parmi les siens - famille ou camarades de lycée -, remarque, aux abords d’un théâtre, un bel inconnu d’âge mûr (Arnaud Valois, parfait dans le rôle), qu’elle traque, guette, surveille, approche, au point de parvenir à apprendre son prénom, Raphaël, puis à entrer en contact avec lui, et même à le charmer… L’argument est mince, même ténu, mais tout le charme réside à la fois dans l’audace et dans la délicatesse avec lesquelles l’aventure est dépeinte. Suzanne - l’identité des prénoms de l’héroïne et de son interprète et créatrice autorise à mêler les instances, du moins par moments -, loin de l’image des femmes-victimes brandie actuellement, ose se montrer entreprenante, déterminée, obsédée dans sa traque de l’homme. Elle ose démasquer les excès de la passion : dansant de joie dans la rue, embrassant une armoire à défaut de l’être convoité ; et l’on songe au jeune Bashung : « Regarde où j’en suis ! J’tringle au rideau ! »… Et la communion des corps, les scènes de sexe n’étant pas encore de mise, passe par d’inattendues mais charmantes chorégraphies, deux, entre lesquelles est ménagée une subtile gradation.


Car la jeune réalisatrice préfère souvent le silence, ou le geste, à la parole inutile, dont elle ne craint pas, à travers certains dialogues, voire monologues, qui en deviennent désopilants, de démontrer la vacuité, ou le porte-à-faux. Contempler, observer, plutôt que discourir. Le pari est tenu, grâce à la belle photographie de Jérémie Attard, aussi précise et définie que la maîtresse d’œuvre. Et le visage lui-même de la jeune Suzanne offre un tableau fascinant, aussi ingrat lorsqu’il se fait boudeur et fermé que charmant lorsqu’un sourire le transfigure soudain et le fait enjôleur, radieux.


Certes, Suzanne Lindon illustre l’inégalité de fait des citoyens, tous les nourrissons n’ayant pas la chance d’avoir des parents fortunés et célèbres pour se pencher sur leur berceau, ni « dans le milieu » pour accompagner leurs premiers pas professionnels. Mais les fées non plus ne l’ont pas oubliée ; or ces dames, heureusement, sont moins scandaleusement inégalitaires que le hasard. Et elles ont doté la jeune Suzanne de multiples qualités, qu’on ne saurait lui reprocher, et qui lui permettent d’être une jeune personne qui va de l’avant, aussi déterminée pour partir à l’assaut de sa première œuvre cinématographique que son double filmique à l’assaut de son premier amour.

AnneSchneider
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le 26 déc. 2021

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Anne Schneider

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