"Serenity", malgré son casting de luxe, avec Matthew McConaughey et Anne Hathaway, a été un tel bide aux USA qu’il ne sortira pas sur les écrans de cinéma en France, et que nous sommes réduits à la regarder sur Netflix. Lire le résumé du film, entre "Moby Dick" et les classiques du film noir, ne donne de toute manière aucune bonne raison de perdre 1h46 minutes de sa vie devant cette réalisation de Steven Knight, scénariste anglais relativement réputé pour son travail sur la série "Peaky Blinders" ou sur "les Promesses de l’Ombre" de Cronenberg. Ce serait une erreur, parce que, en dépit de son manque de succès commercial, "Serenity" présente un gros « plus » par rapport aux productions hollywoodiennes habituelles, celui d’être un film vraiment surprenant. Au point que nous ne vous recommandons pas de lire cette critique plus en avant – même si nous nous évertuons comme d’habitude à ne rien « spolier » : il sera bien plus satisfaisant d’être cueilli au détour du film par l’un de ces twists, certes pas totalement révolutionnaires (modérons notre enthousiasme !), mais qui offrent l’avantage notable de nous forcer à repenser tout ce que nous avons vu jusqu’alors.
On imagine facilement que Knight, pas peu fier de sa trouvaille, a voulu jouer au petit M. Night Shyamalan et contrôler complètement la production et la réalisation d’un film susceptible, d’après lui, de marquer son temps. Malheureusement, si le plaisir de la fameuse « révélation » s’avère intense, si cette révélation justifie a posteriori tous les choix – narratifs, esthétiques et psychologiques - que l’on avait pu trouver critiquables dans la première heure du film, Knight commet l’erreur (de débutant…) de laisser ensuite son film retourner vers son histoire initiale, et donc vers une conclusion d’autant plus faiblarde qu’elle est en fait fondamentalement impossible : une fois détruite la croyance du spectateur en les personnages, comment celui-ci pourrait-il trouver intéressant ce qui peut leur arriver ? La solution aurait sans doute résidé soit dans le passage à une méta-fiction qui réfléchisse justement sur la destruction de la croyance – le genre de démarche dans lequel, bien sûr, Shyamalan excelle, comme il l’a prouvé encore une fois avec son "Glass" -, soit dans le fait de donner un nouveau « tour de vis » à la fiction pour passer à un autre niveau de récit :
ceux qui ont lu le "Simulacron 3" de Daniel Galouye (ou même vu son adaptation, assez moyenne, au cinéma) savent que l’on ne peut survivre au vertige existentiel que provoque ce genre de « twist » qu’en offrant une nouvelle perspective au spectateur sur les décombres de la réalité que l’on a ainsi fait exploser.
Il est donc possible de penser que l’échec commercial du film, malgré le coup d’éclat de son scénario, vient de la frustration du spectateur qui en sortira en se disant : « Tout ça pour ça ? je ne crois pas une minute à la conclusion du film… », et donc du manque de travail « théorique » sur un scénario qui se repose trop sur un seul effet de sidération. Soit, répétons-le, une erreur que Shyamalan n’a jamais commise.
Sinon, et bien que cela ne soit pas très important ici, on déplorera que le talent considérable que Matthew McConaughey a démontré au cours de ses dernières années soit si peu mis à contribution, et que, comme si on était revenu aux premières années de sa filmographie, le film se contente surtout de filmer ses fesses et son corps toujours impeccable malgré l’outrage des années. Cette vénération d’un homme-objet nous change agréablement de l’exhibition habituelle de corps féminins dénudés, mais est pour le moins décalée par rapport au sujet du film.
Malgré toutes ces réserves qui l’empêche d’être vraiment un bon film, "Serenity" reste une expérience hautement recommandable, ne serait-ce que pour le plaisir plutôt rare d’avoir été aussi habilement "menés en bateau"...
[Critique écrite en 2019]
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