(Spoils)
Serre moi fort (l'absence de trait d'union est voulue) est un drame familial, une histoire simple. Sauf que si on la racontait directement, il n'y aurait pas matière à un film. C'est, en tout cas, ce que Mathieu Amalric, le réalisateur, a dû penser. Alors scénario et montage se sont évertués à brouiller les pistes. On nous met d'abord sur celle d'une héroïne qui veut "tout recommencer" : Clarisse. Un matin, à l'aube, elle quitte le nid familial en loucedé, alors que toute la maisonnée dort encore, le mari comme les deux jeunes enfants ; en même temps, elle claque quand même bruyamment la porte de la voiture qui va l'emporter dans son périple. Elle s'en va voir la mer (on est dans le Sud-Ouest de la France, au pied des Pyrénées). Pourquoi "abandonne"-t-elle une famille apparemment idéale et à laquelle elle paraît attachée ? On en a (brièvement) la vraie raison au milieu du film. Dès lors, on voit l'histoire d'une autre façon. Et le vrai thème du film se dévoile : la difficulté de faire son deuil ; pire, la difficulté de vivre avec trois membres fantômes. Oui, Serre moi fort est un mélodrame présenté de façon énigmatique.
Une fois le mystère levé, on n'est qu'à mi-film. On suit alors la deuxième moitié avec, chez moi, un agacement qui est allé crescendo. Malgré tout le talent de Vicky Krieps (lancée par Phantom Thread et vue récemment dans Bergman Island et même Old), on ne peut s'empêcher de soupirer devant le personnage qu'elle incarne, cette femme qui, pendant des mois et des années, n'arrive pas à tourner la page, qui utilisant subterfuges et artifices cherche à tout prix à faire vivre ses trois chers fantômes, qui pérennise sa douleur et en donne le spectacle. Quand elle en vient à confondre la vie que ses enfants auraient pu avoir avec celles de deux ados qui leur ressemblent, on reste de plus en plus extérieur aux scènes. Ça sonne faux, ça ne nous touche pas, on se dit que c'est du cinéma et pas forcément du meilleur.
Trop de choses clochent. Le suspense du début (durant lequel Clarisse passe d'une joie jouée à une peine profonde, inexplicable, où elle finit par s'enivrer, etc.) est un procédé trop facile. Trop d'insistance aussi sur ses hallucinations, la fausse vie qu'elle s'évertue à donner à ses chers disparus. Trop d'accent mis sur le chagrin dans lequel elle se morfond pendant la deuxième moitié du film, car c'est une femme pleine de charme, elle ne peut l'ignorer, elle a encore toute la vie devant elle (une jolie scène quand même, mais trop courte : celle où elle déboutonne la chemise du musicien flûtiste et pose une main sur sa poitrine). Certaines séquences sont médiocrement mises en scène ou filmées :
notamment, celle où Clarisse court et se jette sur les corps tardivement récupérés de sa famille.
Enfin, le montage alambiqué de l'ensemble de l'histoire en accentue le côté méli-mélo sentimentalo-cérébral.
Temps de conclure, car je deviens dur avec ce film, ce qui n'est pas dans mes habitudes.
Je résume : Un film plutôt bien joué, assez joli mais froid, et auquel je n'ai pas pleinement adhéré.