Les rues glaçantes de la ville amènent avec elles la puanteur et la désolation. On pourrait penser que la pluie serait divine et laverait cette ville mortifère de ses pêchés aussi innombrables qu'ignorés. Mais il n'en est rien.


Cela fait déjà bien longtemps que William a cessé d’espérer, qu'il s'est habitué à cette odeur nauséabonde qui s’insinue dans ses narines chaque matin. Lui-même est bien conscient qu'il fait parti de ce système macabre, conscient que remuer ciel et terre ne mènera à rien et que le meilleur à faire, c'est attendre cette douce retraite tant méritée pour fuir.


Fuir, voilà la seule issue. Alors pourquoi ce jeune David, impétueux, fougueux, plein de bonnes intentions a voulu se faire muter ici ? Pourquoi plonger dans l'enfer abyssal de cette ville ? Pourquoi y entraîner sa femme aussi belle que dévouée ici ? Se rendre utile, qu'il disait.


Alors le temps d'une semaine, William lui enseignera son savoir, lui présentera sa vision du monde, ce monde qu'il jonche depuis trente-quatre ans avec un insigne d'inspecteur. Le jeune David s'y opposera, il croira encore qu'on peur arranger les choses, que rien n'est perdu et que le monde n'est pas aussi merdique que William pense.


Une semaine, sept jours, cent-soixante-huit heures, le compte à rebours est lancé, une enquête complexe, un meurtrier méticuleux, cultivé, et le pire de tous, patient, des indices farfelus, des victimes sans lien apparents si ce n'est qu'une mise en scène macabre. Et un colis au nom de « David Mills ». Voilà tous ce qu'il aura fallu à David pour comprendre ce que William ne cessait de lui dire depuis lundi.


Notre monde est pourri, il mérite certes qu'on se batte pour lui, mais la seule issue, c'est la fuite.


Se7en est à ce jour l'un des plus grands monuments cinématographique que j'ai vu, si ce n'est le plus parfait, le plus maîtrisé, et le plus envoûtant. En vérité, je connaissais déjà la fin la première fois que je l'ai vu. Une personne de ma famille, qui l'avait vu au cinéma, avait été terrifié par ce film et n'avait pas pu s'empêcher de dire ce que cachait la fameuse boîte. Et pourtant, le contenu de cette boîte n'est qu'un détail, un mécanisme de la claque qu'est Se7en.


Je me souviens encore de la première fois que j'ai vu Se7en, quatorze ans, préparé au final, mais pas préparé à tous ce que Se7en représentait.


Premièrement, je n'étais pas préparé à voir un monde aussi anarchique, aussi rongé de l'intérieur et aussi pessimiste. Je n'étais pas prêt à voir cette confrontation d'idée entre un William Somerset blasé et réaliste et un jeune David Mills idéaliste et si naïf. Pas prêt à voir ces cadavres et entendre de quelle façon macabre ce tueur les avait torturé.


Et enfin, et ce fût là le plus grand choc, je n'étais tout simplement pas prêt à voir un film d'une telle qualité, d'une telle maîtrise. Se7en atteint les sommets comme aucun autre film, j'aurai tendance à dire qu'il réussit certains points que même mon film préféré qu'est The Dark Knight peine à atteindre. Celle d'une ambiance aussi insoutenable qu'envoûtante.


Car c'est sur cela que repose tout la magnificence de ce chef d’œuvre. Il nous plonge dans un univers dans lequel personne ne voudrait se plonger, et le rend hypnotisant, fascinant. Durant deux heures, on est enfermé dans cette ville sans nom, où la pluie règne en maître et où un cadavre dans la rue ne provoque pas plus qu'un simple haussement d'épaule d'un passant et le soupir d'un flic ayant déjà tout vu. Les décors y sont pour quelque chose, notamment dans les scènes de crime que les deux détectives scrutent dans chaque recoin. David Fincher (et enfin, je cite le nom de ce génie), donne vie à son monde, le rend réaliste, et on y croit.


Encore une idée de génie de sa part, qui contribue à cet univers, c'est la confrontation entre une vieillesse qui a déjà tout vu, celle de Somerset, et une jeunesse qui a encore tout à apprendre et qui tente tant bien que mal de résoudre les problèmes. Somerset ne veut pas de cette enquête par simple intérêt, Mills la veut car il faut la résoudre. Mills y mettra tout son cœur, fera de son mieux, mais malgré les avertissements de Somerset résolu à l'aider, y mêlera également ses émotions. Une règle d'or dans cette ville qui vous bouffe dès la moindre occasion.


C'est ce duo de flics qui met en avant la ville, c'est à travers ces deux regards que tout oppose qu'on observe la ville. C'est leur dialogue qui apporte la réflexion.


Quant à la mise en scène, elle est non seulement sublime, mais toujours au service du propos. Je pense encore au travail des lumières notamment dans la scène du pêché de la gourmandise ou de la découverte du cadavre de la luxure dans le night-club. On découvre les recoins de la ville, ses différentes facettes, la bibliothèque, le commissariat, les restaurants, les appartements, le night-club, la plaine dans laquelle se déroule la scène finale, chaque lieu à son identité, regorge d'idées de mise en scènes tout aussi audacieuses que réussies. Mais chaque lieu réserve chacun une aura de puanteur et de malaise, d'où l'aspect oppressant de la ville qui écrase tous ses habitants (les flics, le patron de night-club, les mendiants).


Autre idée qu'apporte Se7en, c'est celle de la justice et de ses failles. L'exemple le plus subtil du film est bien évidemment lorsque Mills et Somerstet payent un employé du FBI pour lister des lecteurs de la bibliothèque ayant loué des livres sur les pêchés pour dénicher leur tueur. Mills conteste, c'est inégale, mais c'est pourtant nécessaire. Et là encore, c'est incroyable, car c'est le seul moment dans le film, où les deux flics arrivent à devancer leur tueur, le seul moment où celui-ci est en danger et qu'il va devoir battre en retraite. La seule fois où ils avancent, c'est en négligeant la loi. C'est ça que pose Se7en comme question, jusqu'où peut-on aller pour servir la justice quand elle-même est fragile et instable. Quel est la limite entre la loi et la morale ?


Et enfin, comment ne pas parler de Se7en sans aborder son méchant, tout bonnement parfait. Ce qu'il y a de si parfait avec ce méchant, c'est la façon dont il est amené dans Se7en. On suit pendant 1h40 de film les deux flics mener leur enquête, s'approcher du tueur, on peut le distinguer à certains moments, il n'est jamais loin et au fur et à mesure, on commence à se faire une idée du personnage. Que ce soit à travers ses cahiers, sa maison, la discussion au téléphone où la façon dont il laisse ses victimes mortes, on finit par connaître le personnage avant même qu'il n'apparaisse à l'écran.


Et une fois celui-ci enfin dévoilé, quelle surprise. De un, l'acteur qui l'incarne, le film nous laisse à peine distinguer son visage à certains moments et une fois que l'on découvre l'interprète, on ne peut qu'être heureux. De deux, ses dialogues. Car pendant les vingt dernières minutes que nous réserve Se7en (et bon sang, que cet acte finale est d'une perfection), on se rend compte d'à quel point, on est loin de comprendre ce tueur. Une mission divine ? Un message à la population ? Le tueur présente ses actes comme un avertissement, un œuvre qui, une fois dévoilée au monde, lavera enfin la ville de ses pêchés. Une façon de faire qui déplaît à Mills, alors qu'il partagent un but commun : résoudre les problèmes de criminalité de la ville. Les moyens sont simplement différents. Mais on ne peut s'empêcher de faire aussi le lien avec Somerset qui brise la loi avec le FBI et la librairie. Le tueur et Somerset ont donc aussi un point commun, ils sont prêts à aller au-delà des lois pour mener à bien leur mission.


La discussion dans la voiture a beau durer une dizaine de minutes, elle est tout simplement bluffante, non seulement de par les dialogues (mais là encore, les dialogues sont réussis sur toute la longueur du film), mais également par les acteurs. Entre un Brad Pitt au début calme mais qui cache au fond de lui une brutalité surprenante, un tueur posé déblatérant des absurdités avec toute fois une part de vérité dans ses propos, et un Morgan Freeman observateur ne sachant pas vraiment comment agir, la tension est palpable.


ET POURTANT !!! Rien, ne pouvait nous préparer à cette scène finale. Même avec le spoile que j'ai subi, la surprise est de taille, car, soyons d'accord, la scène de la boîte est l'une des scènes les plus sensationnelles que le cinéma nous ait offert. Tout, et je dis bien tout, dans cette scène, chaque plan, chaque mouvement de caméra, chaque transition, chaque dialogue, prestation des acteurs, chaque note de musique, tout est méticuleusement pensé (jusqu'au visage de Gwyneth Paltrow apparaissant furtivement une fraction de seconde), tout est maîtrisé pour nous offrir le retournement de situation le plus dingue qu'on ait pu voir à l'écran. Tout comme le tueur, David Fincher avait pensé à tout, et nous offre un final parfait qui conclût avec brio ce chef d’œuvre absolu.


Un final parfait, qui finit par cette phrase magnifique, issue d'un poète (comme de nombreuses autres citations du film) :


« Ernest Hemingway once wrote, "The world is a fine place and worth fighting for." I agree with the second part. »


Une phrase finale qui vient nous clouer à notre siège, bouche bée à chaque visionnage.


Voilà pourquoi, à mes yeux, Se7en est un monument du cinéma, voir même de l'Art dans l'ensemble. Car il est une expérience sensorielle unique que peu d’œuvre offrent. On peut tout à fait ne pas apprécier Se7en car il est pessimiste, froid, violent, dégoûtant. Mais c'est une claque tellement dingue, une ambiance tellement envoûtante, des dialogues tellement bien écrits, une enquête tellement palpitante et des acteurs tellement investis qu'on n'en ressort changé.


Se7en est un chef d’œuvre absolu que tout cinéphile doit avoir vu, car c'est peut-être le film qui se rapproche le plus de la perfection.

Créée

le 29 avr. 2018

Critique lue 370 fois

James-Betaman

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