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Projet casse-gueule jugé trop déviant, trop sombre, et tombé dans les mains d’un David Fincher qui s’était juré de ne plus faire des films après ses déboires avec le studio sur Alien³ ("I'd rather die of colon cancer than make another movie" déclarait-il alors posément). Un script qui a connu treize réécritures pour finalement revenir au point de départ, avec le final inchangé. Une campagne marketing inexistante car ne sachant pas quoi faire d’un Brad Pitt qui cherchait à briser son image alors que la cible démographique se composait ds jeunes demoiselles en fleur, ne pouvant pas exploiter le nom de Kevin Spacey qui avait expressément demandé que le secret de sa présence soit gardé, et se retrouvant bien embêtée par les résultats des projections test dont certaines réactions invitaient gentiment les auteurs du film à crever devant tant de vilenie. Tout un programme donc, mais c’est pourtant Se7en qui a fini de faire de New Line autre chose qu’une boîte à séries B d’horreur à la sauce Freddy pour lui ouvrir les portes de projets plus “sérieux”, dont une future trilogie en Terre du Milieu.


Se7en donc, c’est avant tout une ville, Sodom et Gomorrhe réincarnée, où les pluies diluviennes (le péché donc, cf Nosferatu) s’infiltrent dans les moindres interstices, signifiant la décadence morale. Si la cité n’est jamais nommée, elle est largement inspirée du New-York des années 80, un nid de vices où l’individu est écrasé dans une masse qui ne se soucie plus d’autrui, où l’apathie règne en maîtresse. Sur une scène introductive de crime passionnel (aujourd’hui on appelle ça un féminicide, c’est plus juste), l’inspecteur Somerset (Morgan Freeman) demande : “L’enfant a-t-il assisté à la scène?”. Ce à quoi le flic interrogé s’esclaffe, indifférent à ces égards qui n’ont plus leur place.


Somerset a abandonné lui aussi, prêt à prendre sa retraite. Edmund Burke, écrivain et politicien britannique de la fin du 19ème, dit la fameuse phrase : “Pour triompher, le mal n’a besoin que de l’inaction des gens de bien”. La source de la gangrène est là. La ville est donc poisseuse, et ce grâce au fantastique travail des lumières, à la science du cadre de Fincher, et à ce générique coup de poing (et qui fera bien des émules, donnant un nouvel essor à un dispositif quelque peu délaissé depuis l’époque de Saul Bass) qui nous introduit le plan de John Doe, en croisade contre la déliquescence morale. La menace est introduite en juxtaposition à l’atmosphère malsaine qui imprègne chaque image.


Arrive David Mills (Brad Pitt), jeune impétueux qui cherche à prouver sa compétence et qui se place en opposition au caractère cautionneux de Somerset. L’un est optimiste, l’autre pessimiste, et cette balance ne s’inversa que par les élans retors d’un scénario qui finira de détruire en l’un toute trace d’illusion, et qui ravivera le désir de se soucier de l’autre. Mais il aura fallu pour cela détruire la seule once de positivité du récit, Tracy, la femme de Mills (Gwyneth Paltrow). Et au septième jour s’arrête la pluie, alors qu’enfin l'œuvre de John Doe est complète, que le péché s’est vu soufflé par la mission divine du meurtrier. Il a gagné, car si c’est la passion et non la morale qui guide la dernière action de Mills à son encontre, il a par son oeuvre obligé Somerset à se réinvestir dans son humanité. Il a forcé la main de l’empathie.

Fincher disait du script : “ I found myself getting more and more trapped in this kind of evil ... and even though I felt uncomfortable about being there, I had to keep going.” Cette sensation, il l’a retransmise avec brio au spectateur, auquel il ira jusqu’à ôter la satisfaction de voir le tueur rattrapé, le mettant dans une situation de malaise croissante : on est sur son terrain, et c’est lui qui tient les cartes jusqu’au final désespérément noir.


Dès ce second film, Fincher s’impose comme un grand d’Hollywood. Se7en est devenu un mètre-étalon du thriller et a généré une foultitude d’ersatz à la qualité plus ou moins douteuse, tandis que son auteur, s’il n’a jamais quitté longtemps le genre (en continuité direct dans Zodiac, Mindhunters, ou en variations conceptuelles dans The Game ou Fight Club…), a su ajouter des cordes à son arc en transposant son maniérisme et sa science de l’image sur des projets autrement plus surprenant.


Vivement le 4K de The Social Network.


Frakkazak

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