Il y a une vingtaine d'années maintenant, ce cher SanFelice était étudiant dans la plus belle ville de France (du monde ?), Lyon. être étudiant à Lyon, quand on s'appelle SanFelice, consiste à écumer les cinémas une petite dizaine de fois par semaine, seul ou avec des potes. Et, cette année-là, avec l'ami Jambalaya. Le SanFelice et le Jambalaya se connaissent déjà depuis trois ou quatre ans alors.
Un jour, ils vont donc entrer dans une salle de cinéma sise Rue de la République dans le but de se distraire en regardant un film intitulé Se7en. Étant de grands connaisseurs en matière cinématographique, ils n'avaient jamais entendu parler de David Fincher. Étant dotés d'un grand sens prémonitoire, ils se disaient que cette histoire avec un jeune flic blanc tout cinglé et un vieux flic noir au bord de la retraite, ça ressemblait énormément à L'Arme fatale et qu'ils allaient pouvoir s'amuser pendant deux plombes.
Deux heures plus tard, alors que le générique du film défile à l'envers, nos deux jeunes héros sont en état de choc, repliés en PLS sur le sol de la salle (vous avez remarqué les allitérations ?). Ils sortent au grand air. Comme toujours à ce moment-là, la lumière fait mal aux yeux ; peut-être encore plus cette fois-ci, après deux heures passées dans le noir, le sombre, la pénombre qui s'est abattue sur une ville agonisante. Le travail sur la lumière, les couleurs, les cadrages, tout ça, c'est remarquable. Pratiquement aucun plan large, ni même plan d'ensemble. Nous n'avons aucun repère, nous ne voyons rien, nous découvrons tout par petites bribes, par minuscules détails. Nous allons à la même vitesse que ces flics, perdus comme ils le sont, angoissés comme ils le sont aussi. Comme eux, notre angoisse va crescendo : au premier meurtre, on devine que ça ne va pas être joli. Une heure et demie plus tard, on se ronge les ongles jusqu'au sang, prêts à sursauter au moindre petit bruit, la boule au ventre, la gorge serrée.
Finalement, la lumière, en dehors de la salle de cinéma, est peut-être aussi salvatrice. Elle nous montre que nous ne sommes pas dans cette Babylone-sous-la-pluie décrite dans le film. drôle de ville, non ? Il y pleut tout le temps, il fait toujours sombre. Bien des détails, ici, rappellent l'esthétique de Blade Runner. Et cette impression, de plus en plus élaborée au fil des images, au fil des dialogues aussi (surtout ceux de Somerset), que La Ville est pourrie jusqu'à l'os, que sa population n'est qu'un ramassis de criminels, d'assassins, de violeurs et de dégénérés de tout poil. La caméra de Fincher donne raison à la vision du monde de l'assassin, une ville de tous les péchés, Babylone la Grande Prostituée de la Terre.
SanFelice et Jambalaya n'en peuvent plus. D'habitude, quand ils sortent du cinéma, surtout après un bon film, ils sont très motivés, ils vont en discuter, ils ont envie de le recommander à tout le monde, d'en parler même aux inconnus autour d'eux. Là, non. Ils trouvent le premier banc de la rue et s'affalent dessus. Ils sont épuisés, aussi bien moralement, nerveusement que physiquement. Certes, le rythme du film connaît quelques défaillances. Le temps entre le deuxième et le troisième meurtres paraît bien long ; il y a là une chute de la tension assez préjudiciable. Mais tout ça est oublié dans la dernière demi-heure, absolument exceptionnelle. Inoubliable. Une fin qui marque à jamais son spectateur.
ça faisait donc bientôt vingt ans que je n'avais pas revu ce film. Entre temps, j'ai pu remarquer que le Fincher ne fait pas toujours parler son talent et que, dans l'ensemble, il est quand même nettement surestimé. Je n'avais pas forcément envie de revoir ce film, préférant en garder une bonne image.
Finalement, si les défauts sont apparus d'une façon plus évidente ici, je lui conserve quand même sa note. Pour cette ambiance, pour ce contexte, pour ce final surtout, cette tension qui monte jusqu'à une dernière demi-heure dantesque.