Seven up ! - 56 up
En 1964, Paul Almond, aidé par Michael Apted qui reprendra le flambeau, filme une quinzaine d'enfants d'origines sociales différentes dans le but de montrer les enfants qui seront les travailleurs et les cadres de l'an 2000. L'objectif de cet épisode de "World in action" a un but tout avoué : tenter de démontrer un déterminisme social où les enfants provenant de classes aisées ont un avenir tout tracé vers les grandes universités alors que ceux des classes inférieurs se dirigent vers un avenir moins radieux.
Les participants ont ensuite été ré-interviewés tous les 7 ans. Le fait que le projet ait été mené de manière durable de 1964 à 2012 (au travers de 8 épisodes donc) en fait déjà probablement une des entreprises cinématographiques de plus grande ampleur de l'histoire (rappelons que Boyhood par exemple n'a été tourné 'que' sur 18 ans). De plus, le documentaire se dévoile sous trois formes politique, existentialiste et auto-reflexive qui en font un objet somme, et donc nécessaire.
Les premiers épisodes, et peut être même jusqu'à 35 up, se développent majoritairement autour de la dimension politique. Quel va être l'avenir de ces enfants que nous avons découverts en 1964 ? Le résultat est d'autant plus intéressant que au fur et mesure du développement du projet, l'évolution des participants tend quelque part à infirmer la thèse du déterminisme social évoquée dans le premier épisode. Il est amusant de voir Michael Apted se débattre pour essayer de revenir dans les clous de ce qu'il voudrait montrer alors qu'il semble évident que malgré de moindres opportunités, ce ne sont pas forcément les enfants des classes travailleuses qui s'en sortent le moins bien.
L'aspect existentialiste se démontre particulièrement au travers des ellipses séparant les différents épisodes. Le temps parait se contracter pour certains participants lorsque 7 ans n'ont eu presque aucune influence sur leur vie alors qu'il se dilate pour d'autres qui prennent des virages à 180 degrés entre deux épisodes. Cela crée un attachement pour chacun des personnages, de par leurs particularités et malgré leurs personnalités très différentes. La réalité terre à terre apportée par le documentaire et le vieillissement de chaque participant ajoute une touche d'empathie unique qu'on n'aura jamais vu au cinéma et qui ne pourra jamais être remplacé par n'importe quel 'adapté de fait réels' ou comédien maquillé vieilli. Pour avoir regardé les 8 épisodes dans un bref intervalle de temps, il est d'ailleurs assez difficile de s'attacher aux personnages lorsqu'ils ont 21 ou 28 ans (proche de mon âge) et de découvrir en regardant la suite qu'en réalité aujourd'hui, ces personnes ont 61 ans.
Enfin, la forme la plus intéressante que prend ce documentaire est sûrement la réflexion qu'elle induit sur le genre même du documentaire et de l'interview. Cela pourrait nous renvoyer vers Chronique d'un été (ou à la pièce "L'interview" De Nicolas Truong, si vous avez l'occasion) où des participants interrogés dans la rue étaient finalement mis face au film de leur propre réponse et avait du mal à s'y reconnaître. La construction même du projet Up fait que les participants peuvent donner des retours sur les films précédents dans lesquels ils apparaissent. Ils sont souvent interrogés sur l'effet qu'a leur participation aux films dans leur vie de tous les jours. Certains participants plus vindicatifs interviennent même de leur propre chef pour dénigrer les prises de position d'Apted qui semble parfois, par le biais de questions fallacieuses ou du montage, montrer plus sa propre vision biaisée des participants que la vision que les participants ont d'eux mêmes. En cela, les films Up soumet une vraie réflexion sur l'éthique du documentaire à une échelle encore jamais proposée.
Un dernier point qui rend indispensable cette série de films est son aspect quasi philosophique sur l'être humain. Par le biais de ses multiples participants, et de sa disposition mosaïque, en exposant divers points communs et particularités, les films apportent une certaine réflexion sur des questions telles que
Qu'est ce qui fait de moi un être humain ?
Qu'est ce qui fait de moi cet être humain ?
Essentiel donc.