Ann (Andie MacDowell) est une refoulée typique, du moins la caricature d'une variété commune de refoulé(e)s : dissociée, adaptée et d'une pudeur presque régressive à la simple évocation du sexe. Sa face lumineuse et ses manières affables ne trompent personne et attirent certains. Ann est l'incarnation de ce puritanisme banal et fonctionnel, fournissant des gens d'apparence limpides, sereins et joyeux, dont la fermeture évidente, mais bien déguisée et compensée, est l'alliée d'une susceptibilité extrême. Il en résulte des allures enfantines et d'autres d'adultes rigides (l'hyper-vigilance), masques sophistiqués de colères, de frustrations et de dégoûts puissants ; sans doute même, de tempéraments blessés.


Ce personnage est de loin le meilleur atout de Sex, Lies and Videotape. Soderbergh a inventé un brillant panel de portraits. Leurs interactions ne sont pas si intéressantes et la rencontre d'Ann avec Spader vaut moins pour elle-même que pour ses effets, c'est-à-dire tout ce qu'elle remue chez Ann. SLV est un film où on parle abondamment, de sexe fondamentalement, sans jamais s'attendre à ce que l'action prenne ce chemin – ni même un autre. Par moments on croirait trouver un chaînon manquant entre Haneke et Quand Harry rencontre Sally. Le film raconte moins des relations que des attentes et des craintes, où les autres sont autant d'objets échappant à notre maîtrise. La réunion dans l'intimité de Graham et Ann est expérimentale, en tout cas pour Ann, avant d'avoir quelque valeur sentimentale ; sa dimension 'magique', soulignée par la BO, sonne artificielle. La mise en scène est sans folie, les dialogues incisifs, empruntant parfois des double-sens manifestes ou servant un bon lot de répliques sonnant comme des lapsus (d'autant plus énormes quand leurs auteurs ne les perçoivent pas).


La 'chronique sexuelle' est glaciale, scrupuleuse, parfois drôle, avec une espèce de cruauté émoussée ; quelques années avant American Beauty, Soderbergh cherche à présenter la vie sexuelle moisie de la middle class transie d'ennui. C'est un peu comme de nouvelles 1960s, sauf que la libération sexuelle est déjà passée et que l'étape à venir (salvatrice peut-être, perçue comme nécessaire en tout cas) devient le grand déballage. Les handicapés affectifs veulent sortir de leurs carcans. Jouir ou pouvoir jouir n'est pas le problème ; l'important c'est d'accéder à la vérité, à la sienne pour les plus pressés, en trouvant à qui ou quoi s'en remettre ; en l'affichant comme si plus aucune menace ne pesait, comme s'il n'y avait plus de référents assez forts pour 'faire sens' et donc juger de nos actes. SLV raconte donc un éveil global pour Ann, jusque-là très affectée par une 'conscience de soi' exacerbée mais paradoxalement vidée de soi. Elle a toujours mis énormément d'énergie à rester irréprochable, afin d'endormir les critiques imaginaires, qu'elles soient attribuées aux gens autour ou à ceux de l'au-delà. Elle ne se délivre pas nécessairement, mais avance en conscience et commence à se décrisper.


Cette thérapie de couple est susceptible de laisser beaucoup de monde à quais, les angoisses et préoccupations de ses personnages pouvant sembler dérisoires ou lointaines (malgré un désir de sonner 'universel'). Le film pourrait être abordé comme un conte adulte (et prude, finalement), un enfilage de confessions ou encore un précis sociologique. Il n'est pas assez robuste pour la dernière option et donne plutôt l'impression d'être le voyeur bienveillant mettant le nez dans des banalités effarantes ; comme s'il fallait un regard extérieur sur ces fantasmes, ces complexes et ces souvenirs, pour qu'ils n'aient plus l'air terrifiants, honteux ou insolubles à ceux qui les portent. Le spectateur a l'impression de plonger dans des abysses, mais tout à fait triviales, confortables même. La séance a donc un pouvoir de fascination relatif. Le cachet délavé voire un peu cheap donne l'impression que tout est brillamment bricolé mais très fragile ; c'est d'ailleurs un budget modeste, au scénario écrit en six jours par Soderbergh. James Spader et Peter Gallagher lui doivent le décollage de leurs carrière, Andie MacDowell le dépassement de son image de mannequin égarée sur grand écran (l'expérience Greystoke n'ayant pas été d'un grand secours).


Surtout, dès ce premier film en tant que réalisateur, Soderbergh obtient le succès et la reconnaissance. Il remporte la Palme d'Or à Cannes à seulement 26 ans, approchant le record de Louis Malle (pour Le Monde du silence à 23 ans). Toutefois ce démarrage en trombe n'est pas annonciateur d'un style ou de thématiques spécifiques, Soderbergh se distinguant par une carrière très 'diversifiée', par ses fonctions et surtout par les domaines abordés. Également par la forme de ses revers et de ses succès : films à grands spectacles déceptifs mais salués par une minorité (Solaris) ou par des 'experts' (Contagion), objets plus expérimentaux (Girlfriend Experience), drames populistes (Erin Brockovich), fantaisies lugubres (Kafka), films d'actions chics (Hors d'atteinte) ou encore blockbusters épais (les Ocean's). Autant de produits lisses et efficaces, presque des démonstrations, qui semblent plus liés par leurs absences que par leurs caractéristiques positives, sauf ce côté vain et 'parfait'. Pas étonnant dans ces circonstances que l'accueil mirifique connu par SLV (qui était devenu un symbole du cinéma indépendant américain) paraisse décalé voire suspect aux nouveaux cinéphiles.


https://zogarok.wordpress.com/2015/12/18/sexe-mensonges-et-videos/

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le 16 déc. 2015

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