Sushi of death, chopsticks slash
Pour ouvrir ce "Sgt Kabukiman NYPD" on assiste à une cérémonie japonaise bien classe, avec de grandes fresques peintes, une prophétie ancestrale, et un vieux barbu grimé qui met sa main au feu sans problème.
C'est surprenant, de la part de Troma, de s'appliquer comme ça pour se calquer sur un esprit de sagesse asiatique, surtout que d'habitude, du moins pour les films de Lloyd Kaufman, on est juste dans la déconne.
On s'y retrouve à la séquence d'après avec un clodo qui gueule, des yuppies qui sniffent de la coke, de la mort d'enfant, du sexe ! Là, on reconnaît Troma. Evidemment, le film aura son lot de tirs et coups de pieds dans l'entrejambe, de balles en pleine tête, et de femmes topless (ironiquement, l'une d'elle parle de la misogynie en ce monde, à un moment), trois éléments importants des films Troma.
Heureusement que j'ai vu la version Unrated, mais il y a une version PG-13, avec une lourde censure. Lloyd, avec cette autre version, semble avoir voulu viser un public plus large que d'habitude.
"Sgt Kabukiman NYPD", sans totalement se détacher des délires habituels de Kaufman, vise la catégorie de la comédie policière. On sent que le budget est plus conséquent, pour un Troma : il y a carrément une poursuite en voitures, avec véhicules et vitrines démolis (c'est de là que vient le stock-shot exploité depuis des années par Lloyd, celui ce la voiture qui virevolte puis explose), dommage que le réalisateur ne sache pas bien mettre ça en scène ; il y a des moyens mais c'est mou.
Le budget plus gros a dû aussi, du coup, nécessiter que l'on s'adresse à un plus grand nombre de spectateurs.
Ca expliquerait la présence de cette figure du cinéma plus mainstream, celle du personnage principal qui est un flic gaffeur à l'air ahuri. On peut pas dire que j'y adhère, forcément ça apporte un humour lourdingue, et déjà que le héros n'est pas crédible, comme souvent avec ce type de personnage, il passe de maladroit à compétent quand ça arrange les scénaristes. Harry Griswold est censé faire rire par ses gaffes, mais quand il doit sauver une femme, tout d'un coup il devient un superflic qui vise trop bien les couilles du méchant.
Au moins, l'acteur, Rick Gianasi, a la tête qu'il faut pour son rôle.
Avec le genre auquel s'attaque ce film viennent aussi d'autres archétypes un peu gonflants : le grand méchant qui tue un employé sans raison pour montrer comme il est vilain, le boss colérique qui vire le héros puis le reprend, et puis ces scènes "émotions", bouhouhou, où la collègue du héros meurt. Le problème, c'est que ces éléments, traités avec le sérieux qu'il se doit, sont mixées avec de l'humour ridicule. Juste après la mort de la collègue, on voit Harry en être affecté, piquer une colère dans le bureau de son boss, mais... avec de la musique burlesque au piano en fond sonore. On dirait que Lloyd a eu peur de cette prise au sérieux, qu'il s'est dit que les spectateurs n'allaient pas y adhérer, et dont a cherché à camoufler l'idée qu'on puisse prendre cette scène au 1er degré en sabotant son caractère sérieux par un élément comique. C'est dommage, parce que le changement de ton au cours du film aurait pu marcher, or ici il est foutu en l'air et vire au n'importe quoi.
Il n'empêche que le film sait se montrer drôle.
La scène de "fellation" sous le bureau alors que le sergeant Griswold vient voir un suspect, ça change de l'interrogatoire classique.
Il y a une petite influence sympa du film noir à un moment, quand une femme se retrouve dans la pénombre du bureau d'Harry, mais "Sgt Kabukiman NYPD" s'amuse surtout avec la culture asiatique, évidemment.
Lloyd l'arrange à sa façon, en la plaquant sur son délire purement US.
Le spectacle de kabuki présenté dans le film mélange les figures du théâtre traditionnel japonais à celles contemporaines des rues New-Yorkaises, et lors des scènes de combats, divers éléments de la culture orientale sont utilisés : sushis, baguettes, éventails, ... La violence est cartoonesque et peu gore, contrairement à d'habitude, mais il y a quand même à un moment cette idée énorme des sushis humains...
Forcément, le risque était de verser à un moment ou un autre dans la caricature raciste, mais à part le moment où Harry réclame du maquereau cru au restaurant, on n'a pas à se plaindre.
Et puis, je trouve quand même ça honorable de vouloir faire un super-héros asiatique, déjà que les personnages principaux orientaux sont très rares. Peut-être Lloyd a-t-il été influencé par son Toxic avenger II qui se passait au Japon, suite à l'engouement des producteurs locaux qui avaient adoré le premier film.
Etant donné que l'acteur qui joue le premier Kabukiman du film, on ne l'entend parler qu'une fois qu'il a le dos tourné, je me demande si ce n'est pas un acteur ne parlant pas anglais et que Lloyd Kaufman a fait jouer pour poursuivre une collaboration avec le Japon. Ou alors j'ai trop d'imagination.
Perche dans le champ, faux-raccords nombreux, personnage qu'on croit regarder ailleurs que vers son interlocuteur à cause d'une absence d'amorce, ... Le film est quand même plein de défauts, et à revoir les premières réalisations de Lloyd Kaufman ces temps-ci, je me rends compte qu'il a appris à éviter certaines erreurs au fil des années. Sa mise en scène n'a toujours rien d'extraordinaire aujourd'hui, mais on peut se rendre compte qu'il fait du travail correct de réalisation en voyant les défauts d'autrefois, ceux qui sont absents des films plus grands publics où l'on considère comme acquis un certain niveau de qualité, sans se rendre compte de tout ce à quoi il faut penser pour éviter certaines erreurs.
Même si les films de Lloyd seront toujours dénigrés par un certain public, il faut avouer qu'il a réussi à apprendre rien qu'en tournant, qu'il y a moins de chaos dans ses films d'aujourd'hui, et qu'il a su laisser tomber certains trucs qui ne marchaient pas, comme on peut en voir dans Sgt Kabukiman NYPD. Je pense par exemple aux sortes de petites voix de cartoons, déformées, qu'on entend dans le chaos d'une scène (ces voix qui échappent au sous-titrage).
Mais même, Lloyd a su trouver un certain équilibre, puisque dans ses derniers films on ne retrouve pas de ces insistances inutiles qu'il y a avec Sgt Kabukiman : la femme qui répète en entier au moins 3 fois la prophétie, histoire d'être sûr qu'on a bien compris, ou alors Harry qui insiste "nice dissolve" quand il y une idée de fondu originale, ...
Sgt Kabukman NYPD se révèle plutôt mou, pas très bien foutu, mais je pardonne, déjà peut-être parce que c'est pas aussi bordellique que Class of nuke'em high revu il y a quelques jours, mais surtout parce que c'est fun, parce qu'il y a cet esprit purement Troma.
Il y a des FX vidéos mal foutus, d'autres FX sympas, comme la chaussure qui fond lors de la transformation de Kabukiman, même si le montage est pourri et que les cuts choquent, mais on a par exemple cette métamorphose vraiment marrante et bien fichue plus tard. Et j'aime le costume de Kabukiman, quoique la version dans "Citizen Toxie" est mieux.
Sur la cover du DVD zone 1, on lit une citation du NY times faisant allusion à Columbo et Jim Carrey. Je sais pas où le type qui a écrit ça est allé chercher du Columbo, mais je comprends vraiment bien la référence à Carrey, car Kabukiman se rapproche vraiment de The Mask : le type maladroit doté de super-pouvoirs délirants, les transformations qui se font dans un tourbillon, et la grande influence du cartoon.
Evidemment chez Kabukiman c'est beaucoup plus cheap, mais on trouve pleins de petits trucs rigolos qui suffisent à faire de ce film un divertissement agréable.
Je suis pas mécontent de l'avoir revu, moi qui ne l'avais pas aimé à l'époque...
Bon sinon, comme d’hab’, en plus des petites références aux autres films Troma, on remarque les acteurs récurrents : Joe Fleishaker, Bill Weeden (le médecin dans Toxic 4 qui meurt d’une hémorragie du cul), Brick Bronsky, la femme et une des filles de Lloyd, et Rick Collins, "one of only two people to have appeared onscreen in every "Toxic Avenger" movie" (la classe).
PS : Oh my, des méchants ont un désodorisant Mr T dans leur voiture.
EDIT : J’ai vu le film pour la première fois, il y a 3 ans, le 8 mai, la même date que celle à laquelle Lloyd sera en séance de dédicaces à Paris dans deux jours. C’est un signe.