Je hais ce film. Je le hais moins pour ce qu'il est que pour ce qu'il a été c'est à dire un succés critique immense, confirmé par de multiples nominations aux oscars, de multiples oscars, un Ours d'argent à Berlin, porté aux nues par tous et toutes, spectateurs et critiques, membres de l'industrie et très certainement les martiens aussi.
Le film ne m'a rien fait mais j'avoue, je ne l'ai pas aimé, du tout. C'est un scénario idiot, vu et revu qui devrait être un plaisir coupable en costume avec des acteurs compétents mais qui essaient de bouffer entre 2 rôles sérieux.
Le fait qu'à l'époque de sa sortie, j'ai été en plein milieu de mon mémoire de maîtrise qui s'attachait à étudier et analyser les transpositions de pièces de Shakespeare au cinéma a certainement influé sur mon état d'esprit et eut-il été meilleur, je l'aurais certainement ajouté à mon argumentaire. Mais il était bien trop bourré de n'importe quoi pour que je puisse en faire quoi que ce soit.
Et c'est là où le film m'a perdu avant que ma haine ne se déclanche quand partout il a été porté au pinacle des adataptions de Romeo et Juliette et des films historiques.
Soit on fait n'importe quoi, mais on le dit, soit on essaie d'avoir un peu d'honneteté intellectuelle et on fait un minimum de recherches sans changer les us et coutumes pour justifier un scénario de gender bender très basique.
C'est d'autant plus énervant que le film est plus une adaptation de la Nuit de Rois que de Romeo et Juliette aussi bien dans sa structure que dans son propos. Pièce qui n'a d'ailleurs pas été écrite juste derrière R&J.
Par où commencer?
Je ne suis pas bloquée par les erreurs historiques en général, et je suis assez indulgente sur le sujet mais quand c'est au centre de l'intrigue juste pour créer l'intrigue, c'est la preuve que les scénaristes ne savent pas faire leur boulot (et gagnent un oscar pour ça!).
En effet, la jeune et fade Viola est une jeune fille de l'aristocratie que son statut destine à une seule chose : le mariage, avec un homme de sa caste uniquement. Mais Viola admire les poètes dont ce cher William, et rêve de plus de poésie dans sa vie (réplique insupportable couinée par Gwygwi d'une fois de faucet).
De son côté, William Shakespeare est un jeune auteur dont l'inspiration est en berne car il est malheureux en amour. Cela donne d'ailleurs lieu à une scène totalement anachronique mais réjouissante où il se confie sur un divan. (Si tout le reste avait été comme ça, le film aurait gagné en qualité).
Et comme William est en panne, sa troupe, The Chamberlain's Men, est en danger car ils n'ont pas d'argent.
Et c'est là que mon sang à commencer à se glacer dans mes veines.
Justement, cette troupe appartenant au Lord Chambellan, l'un des hommes les plus puissants du royaume, est payée par lui pour fournir du divertissement à la Cour: ce sont des fonctionnaires (l'analogie est osée mais c'est ça). Personne n'attend après William pour fournir une pièce pour laquelle il sera rémunéré, le droit d'auteur n'existe même pas. Ils sont sponsorisés par le Chambellan et en plus louent des salles pour jouer les pièces, ce qui leur fait un apport supplémantaire d'argent. D'ailleurs le Globe qui apparait dans le film n'est construit que bien plus tardivement, par et pour la troupe, mais c'est toujours celui-là qu'on imagine. Ce n'est pas bien grave pour le coup et l'imagerie est importante aussi. D'autant qu'en plus une réplique a été construite à Londres fournissant un décors prêt à l'emploi.
D'ailleurs dans le film, ils confondent James et Richard Burbage. C'est pointu mais un prénom c'est quand même pas compliqué!
Autre point malmené par le scénario pour son profit personnel et la fénéantise des auteurs : les femmes dans le théâtre élizabéthain.
Il n'était pas "interdit" aux femmes de se produire sur scène. Ce n'était tout simplement pas la coutume mais il y en avait.
Cette soit-disant règle n'est créée que pour justifier le travestissement de Viola. Mais c'est une lady! Elle est sous l'oeil de la Reine Elizabeth qui s'occupe de son mariage et elle veut devenir actrice, c'est pas suffisant pour se travestir? D'autant, qu'en effet, elle avait plus de chance d'entrer dans la troupe en tant qu'homme. Mais pourquoi interdit? Cela n'a pas de sens. C'est encore un obstacle factice.
Tant que j'y suis, côté dates, l'écriture de Roméo & Juliet se situe autour de 1595, largement 2 ans après la date annoncée dans le film (mais il faut que William n'est pas encore 30 ans et soit un amoureux compatible et pour correspondre à la mort de Marlowe, qui elle est juste, il faut le noter). Quant à la Nuit des Rois qui voit le personnage nommée Viola prendre vie, il date de 1600 au moins! J'entre dans la pinaillerie pas importante mais tout cumulé, cela me rend folle. Voilà le type de changement qui, pour un film mieux écrit et mieux contextualisé, ne m'aurait fait ni chaud ni froid.
Mais qu'en est-il du film lui même, car cette critique commence à être longue.
Il est correctement fait, correctement joué (même si Gwyneth est très énervante, mais ça c'est très personnel), les costumes sont corrects et les décors aussi. L'histoire en elle même pourrait être une bluette sucrée qui finit mal juste pour finir mal et le scénario serait sympathique. La jeune fille de bonne famille aux aspirations artistiques qui tombe amoureuse du bel auteur passionné mais, au vu de l'époque, ne peut totalement se libérer de son destin. Rien à voir avec Romeo et Juliette d'ailleurs (qui est présentée ici comme la représentation de l'amour ultime et parfait et ça aussi cela me hérisse mais c'est une autre critique pour un autre jour). C'est tout simplement quelconque et mal écrit. La mise en abîme ne tient pas la route non plus et le côté anachronique est quasi inexistant au profit d'erreurs/changements qui ne se justifie au vue de l'intrigue. Dommage, le potentiel et l'argent était là. (A noter, que le film était le poulain d'Harvey Weinstein cette année ce qui a certainement influé sur les prix reçus).
La seule chose qui trouve grace à mes yeux c'est Ben Affleck en Ned Alleyn, acteur star et égocentrique dont toutes les scènes font mouche ainsi que les dialogues. Exemple parfait de ce qui est tout faux et pas vrai mais qui marche quand c'est bien fait.