Flesh:
C'est dans un New-York fait d'arrières plans bleu gris visibles derrière des vitres d'appartements, d'hôtels, de restaurants, de bars et de métros, qu'évolue Brandon, trentenaire séduisant et solitaire, dont l'oscillation quasi-permanente des jambes et des mains nous propose une représentation d'un mouvement perpétuel frénétique, sans acmé ni repos : autrement dit, la masturbation. La sexualité de Brandon se résume donc à de la masturbation appliquée au regard d'une part, par des visionnages multiples de videos porno sur le web, d'autre part, par le recours à des actes sexuels avec des prostituées, dans lesquelles il ne semble s'adonner, pour le peu de scènes qu'il nous est donné de contempler, qu'à cette seule activité d'oscillations du bassin. Seule la dernière scène de sexe, en compagnie de deux prostituées, nous montrera, au premier abord, un déploiement charnel de l'acte sexuel, où toutes les peaux se confondent et s'embrassent, puis une focalisation sur le visage de Brandon lui-même, rappelant l'emprisonnement de son état, qui le condamne à ces va-et-vient perpétuels, sans aucune issue possible.
Act:
Face à cette crispation active de tout son être, Brandon doit être mis à l'épreuve. Par sa soeur, premièrement, dont la présence lui montre tout ce que lui n'atteint jamais. La tendresse et le réconfort, qu'elle réclame, et qu'il est incapable de prodiguer, puis l'amour et la passion destructrice qui la constitue, et aussi l'extrême facilité à se laisser séduire et envahir par le corps de l'autre. Tout ceci lui est étranger. Brandon se trouve également mis à l'épreuve par une jeune femme, qui l'aborde à son travail, et lui fait entrevoir, le temps d'une discussion et d'un dîner, la possibilité d'une véritable relation à deux, durable, joyeuse, et sereine. Proposition à laquelle il se laissera tenter, sans y parvenir.
Bien que Brandon se détermine lui-même comme un homme d'action, et que le propos apparent du film nous suggère un homme dans l'acte sexuel perpétuel, il est pourtant accordé bon nombre de scènes à l'illustration de la séduction. Une première séduction codée, animale et bestiale, ayant pour seul but le coït, dont sait user Brandon à l'égard des femmes, avec peu d'effort, sans danser, ni même trop parler, ce à quoi, parallèlement, s'adonne jusqu'au ridicule, son patron, qui n'arrive pas forcément à ses fins. Les scènes silencieuses dans le métro, face à une inconnue, sont du même ordre mais semblent plus affectées, maladroites, et même un tantinet moralisatrices.
Shame :
Une autre séduction se loge au plus profond du film, séduction dont on aimerait croire, si l'on est freudien, qu'elle touche Brandon lui-même, et que c'est elle seule qui l'accule et le piège. En effet, c'est un Brandon qu'on imagine séduit, dès le départ, par sa soeur Sissy (« you trap me »), et empêché de toute autre conquête puisque conquis, à jamais, par son origine et ses racines. Sissy, lui dira d'ailleurs, dans un message vocal, qu'ils ne sont pas mauvais au fond, mais que c'est l'endroit d'où ils viennent qui l'est. C'est de cette séduction, moins éthologique et plus psychique qui nous fait entrevoir la honte, comme paroi invisible contre laquelle Brandon ne cesse de heurter, et contre laquelle, il n'a pour seule réponse, que d'y coller une prostituée dans laquelle il ne peut qu'osciller frénétiquement.
L'enfermement est donc total et omniprésent dans un New-York, dont on n'aperçoit que des arrières plans figés et ternes, parsemés de bouts de phrases publicitaires ou signalétiques. Sissy apparaît alors justement comme une faille nécessaire, et peut-être une issue possible. Avec son chant « New York, New York », elle choisit d'épouser la ville, creuse un sillon chez son frère, autant qu'elle est capable de le faire sur elle-même.