Après Hunger, la nouvelle hypnose de McQueen
Après avoir impressionné par son sens de la mise en scène, le réalisateur Steve McQueen nous revient avec son second long-métrage. Qui, cette fois-ci, ne s’inspire pas d’une histoire vraie mais se présente comme une véritable œuvre originale. Délaissant l’IRA et le milieu carcéral pour s’intéresser à une toute autre prison. Celle qui n’a pas besoin de murs ou bien de barreaux. Mais plutôt celle de l’esprit, que tout le monde connait sous le nom d’addiction.
Et attention, il ne s’agit pas ici d’alcool ou de drogue. Mais d’un autre genre d’addiction peu traité au cinéma (de peur à la censure, sans doute). Ici, Shame s’intéresse plus au sexe. Au besoin qu’à un homme de devoir coucher sans arrêt. D’être inlassablement attiré par tout ce qui titille l’excitation (jusqu’à une simple inconnue dans le métro qui jouit rien qu’en le voyant et l’incite à la suivre). De devoir se masturber sous la douche ou bien aux toilettes de son bureau (quand bon lui semble, en fait, vu qu’il ne s’agit que d’une question d’envie). Bref, un véritable accro qui ne peut s’en passer, menant sa petite vie comme tel. Jusqu’au jour où sa sœur va débarquer et bouleverser son existence. Et pas de la meilleure des manières !
Pourquoi faire le comparatif de l’addiction à une prison, finalement ? Car il s’agit tout bonnement de la même chose. Et pour cause, notre héros semble coupé du monde, avec l’obsession du sexe en guise d’œillères, remplaçant la cellule. Qui ne peut faire attention à ce qui passe aux alentours qui ne touche pas sa drogue. Prenez l’exemple de sa sœur : elle arrive comme une fleur, lui demandant de l’héberger. Pourquoi ? Son petit amis semble l’avoir quitté. Oui, « semble » car on n’en saura pas plus que le héros lui-même, bien trop enfermé dans son monde de fantasmes. Lui, qui s’inquiète bien plus de voir sa sœur coucher avec son patron plutôt qu’à ses tentatives de suicides (alors qu’il est clairement indiqué que celle-ci possède des marques au bras). Un personnage tellement isolé du monde réel qu’il se sent impuissant quand une véritable histoire d’amour pointe le bout de son nez, quitte à retomber dans ce qu’il affectionne le plus. Même s’il faut en prendre une bonne dose (en une journée, il couche avec une fille dans un hôtel juste après sa panne amoureuse, s’essaye à l’homosexualité sur un coup de tête et finit en partouse avec deux femmes). Pour finalement ne pas remarquer l’appel à l’aide que sa sœur lui adresse depuis son apparition (ne pouvant, du coup, empêcher l’irréparable). Et à la fin, il s’en rend compte et fond en larmes, tombant à genoux dans la rue. Ça y est, l’addiction s’est évaporée ! En êtes-vous vraiment si sûrs ? Suffit de voir le tout dernier plan, à la Inception (le coup de la toupie), qui a de quoi faire douter !
Car là est toute la puissance de la trame de Shame. Suivre un homme dans une spirale infernale qui fait de lui un égocentrique pur et dur, ramenant tout à lui. Ne voyant jamais que c’est sa sœur qui souffre la plus. Que celle-ci préfère s’amuser et vouloir voir son frère pour cacher sa douleur alors que lui, sombre dans la décadence la plus perverse en dévoilant ouvertement qu’il se sent blessé par les événements, tout en voulant cacher des choses qui ne peuvent l’être. Autant dire que pour ce film, McQueen n’a pas lésiné sur l’écriture !
Mais avec tout cela, est-ce un film pornographique pour autant ? Non, ce genre de films proposant des scènes crues juste pour le plaisir des yeux. Avec Shame, c’est le même constat que pour Basic Instinct : les scènes de sexe servent le scénario. Jamais on ne se sent voyeur alors que dans d’autres circonstances, cela aurait été avec une perversité sans nom que le film se laisserait regarder.
Comme pour Hunger, McQueen use de son sens de l’image pour raconter sa trame qui, du coup, aurait méritée de ne pas avoir de dialogues (il y en a plus que pour son film précédent). Une mise en scène qui fait ressortir une certaine poésie visuelle (rien que le premier plan, le personnage allongé sur son lit, quasi livide, à peine recouvert d’un drap bleu, est d’une beauté inexplicable) et une atmosphère quasi enchanteresse (la sœur chantant dans un bar) mais aussi une certaine gêne. Non pas par les scènes de sexe, mais plutôt par le biais d’une ambiance pesante et froide, qui s’accorde à merveille avec les décors du film (décors vastes en verre ou clairs, ou plongés en pleine nuit avec un côté Se7en à l’écran). McQueen le confirme avec Shame : il est un véritable réalisateur, celui qui parle avec l’image et non l’écrit (car autant faire un livre dans le cas contraire !).
Entraînant avec lui quelques acteurs qui n’ont véritablement pas froid aux yeux ! Comme Michael Fassbender, lancé par le réalisateur lui-même avec Hunger. Qui se retrouve une fois de plus totalement nu devant la caméra, ne cachant rien de son anatomie. Et confirmant d’un autre côté qu’il est un excellent acteur (il n’y a qu’à voir sa façon très réaliste d’aborder un tel personnage). Qui donne la réplique à une Carey Mulligan qui se lâche littéralement.
Là où Shame pourra en rebuter certains, c’est au même niveau qu’Hunger. C’est-à-dire par le biais de cette mise en scène qui peut paraître un peu lourdingue par moment, quand elle décide de s’attarder sur certains plans ou détails. Pour exemple, la chanson de la frangine : la scène dure le temps que la mélodie se fasse, avec un gros plan sur l’actrice suivi d’une petite transition sur le visage du frère. Cela contribue grandement aux différentes ambiances du film, mais il est compréhensible que cela puisse faire fuir ceux qui ne sont pas habitués à ce genre de concept dans un film.
Il n’empêche, Shame est la nouvelle preuve que Steve McQueen est un réalisateur hors pair. Qui arrive à traiter un sujet complètement différent et pourtant de la même façon (via l’image). Pour nous livrer un film d’une beauté visuelle incontestable et riche en sensations. Notamment grâce à ce scénario assez peaufiné et un travail de mise en scène irréprochable voire hypnotisante. Il est maintenant clair que le cinéaste fait désormais parti des meilleurs de sa génération. Et qu’il nous tarde de voir ce que va donner son prochain projet !