Branle bas de combat
Donc après le trip ces pauvres flics (Polisse), ces pauvres handicapés (Intouchables), ces pauvres danseuses (Black Swan), ces pauvres bègues ( Le Discours d'un roi), ces pauvres dépressifs...
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le 13 déc. 2011
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Shame est un film sur l'addiction d'un individu, c'est aussi une fiction traitant de l'homme moderne et de sa misère du désir. Vues et revues, ce ne sont finalement pas ces pistes de lecture qui ont motivé cette critique.
Car sans hésitation aucune, Shame fait partie intégrante de ces rares œuvres qui m'ont laissé indécis quant à leurs messages, leur portées, à un point tel que je préférais les laisser de coté, presque les oublier.
Mais dernièrement, au détour d'une discussion passionnée, les propos engagés d'une cinéphile que j'estime m'incitèrent à me replonger dans cette œuvre de McQueen, chef d’œuvre pour les uns, film ambiguë voir moralisateur pour les autres. Shame de par son titre impliquant de fait le jugement, une notion non sans lien avec la morale.
Après deux visionnages en moins de 48 heures (le luxe des vacances estudiantines), le constat était implacable : au-delà de ses qualités indéniables (choix plutôt audacieux de ses thèmes, une réalisation à la plastique irréprochable sondant les êtres dans toute leurs sensibilités, un Fassbender beau de souffrance), Shame a surtout eu cette force de me questionner comme rarement sur la perception morale d'une œuvre.
Car force est de constater que cette oeuvre est avant tout un film sur le jugement impliquant intimement un triumvirat propre à toutes les œuvres cinématographiques : le personnage de fiction, le réalisateur et le spectateur.
Et si j'ai pu dans un premier temps passer à coté de Shame, ou du moins avoir quelques difficultés à le saisir, c'est certainement parce que je n'avais pas alors su m'attarder sur cette notion de jugement et les acteurs qu'elle impliquait.
Dans ses interviews, McQueen nous explique très clairement qu'il ne se veut ni moralisateur ni juge vis à vis de Brandon. A ses yeux, la morale est un fait sociétal créé par les hommes sans que ces derniers ne sachent l'appliquer pleinement. Mais nous sommes immoraux à partir du moment où nous portons préjudice à un autre que nous-mêmes pour le réalisateur, d'où l'importance du personnage de Sissy, reflet charnel cristallisant la haine qu'éprouve Brandon envers lui-même, une haine se concrétisant par une violence de tous les instants envers sa sœur avant que le (possible) déclic ne survienne.
Malgré ces propos, on ne peut omettre l'idée que toute honte est nécessairement dépendante du prisme de la morale tout comme la maladie est liée à celui du jugement. Tel est le constat visible dans nos sociétés et plus encore dans le film. Une société aux codes moraux dictant les normes sexuelles comme les normes de la réussite sociale (un métier stable, un bel appartement). Ici nous sommes à New York, une ville où assouvir ses désirs est à porté de main pour quiconque s'en donne (ou en a) les moyens. Brandon ne peut contrôler ses pulsions maladives, mais la société qui lui impose ce cadre et donc cette honte est aussi cette société qui lui permet de soulager temporairement sa souffrance. Comme son corps, New York est complice de ses pulsions, mais elle les incarcère aussi. McQueen ne juge pas un homme, il regarde un monde, une époque.
Le corps qui était le moyen de se libérer dans Hunger est ainsi objet de passions, de servitudes. Emile Cioran in La Tentation d'exister disait très justement et très simplement "Vouloir être libre, c'est vouloir être soi". Bradon ne peut que l'espace d'un instant toucher cette liberté, l'effleurer, par la consommation vaine des corps. Jamais lui-même, trop dégoutté, condamné à se cacher dans la honte sous peine de devenir un pariât, un étranger, un malade aux yeux de la société. Mais avec son corps il peut aussi temporairement essayer de fuir (du regard) en nous tournant le dos ou nous échapper lors d'une course dans les rues de New York. Il ne s'en dégage que souffrance.
Un Fassbender incarnant dès lors la honte vis-à-vis du spectateur comme du réalisateur (il brise le quatrième mur en tournant le dos au réalisateur comme au spectateur à maintes reprises comme il se libère en nous faisant face, pleurant sous la pluie en fin de film). Mais plus encore, Brandon a honte de lui-même, conscient des codes moraux imposés en société. Il se juge, se sent jugé.
Une société qui n'a plus rien de morale incarnée par New York donc, ville vaine où l'existence ne passe que par la consommation effrénée, mais qui pourtant exige des hommes un comportement moral, tel est l'horrible condition de Brandon. Tel est le constat de McQueen qui est donné à voir au spectateur.
Cependant, même si l'on envisage que Shame soit dénué de tout jugement de la part de son réalisateur, le fait est que ce film ne peut se penser sans le prisme de la morale. Si McQueen ne veut pas juger il se réfère constamment à la morale car c'est elle qui suscite la honte. Brandon pense son existence en fonction de la morale imposée par la société. Idem pour le spectateur qui va voir un film au sujet « tabou ». Le dictât de la morale est omniprésent. Le tout est de savoir quelle place on peut lui accorder dans ce film.
Ainsi, McQueen essaye-t-il de rester constamment en retrait de toute considération morale, nous exposant dans son plus simple apparat un homme souffrant au quotidien. Un effort dans la prise de recul que l'on peut constater dans le montage même du film avec des séquences qui se suivent sans avoir nécessairement de liant, seulement l'exposition des moments de la vie de tous les jours : une course, un dîner au restaurant, le boulot, etc. Une volonté de rester en marge pour mieux saisir les instants de malaise profond, de souffrances intérieures et les vaines tentatives de se libérer.
Cette problématique de la moral dans Shame m'aura véritablement fasciné tant elle peut susciter d’interrogations sur le rapport qu'entretiennent le réalisateur et son personnage, le spectateur et le sujet du film.
On pourra alors me rétorquer que la scène de pleurs sous la pluie (que l'on retrouve dans bon nombre de critiques) s'apparente plus à l'image puritaine d'un homme qui serait lavé de ses péchés. Ainsi comment pourrais-je considérer une quelconque volonté d'absence de jugement de McQueen ? Prise indépendamment du film on est en droit d’accepter cette vision. Mais dans le cadre et la démarche de l'oeuvre, une telle interprétation s'avère peu pertinente. Les maux sont autant dus à la vision égoïste de Brandon qu'à l'époque (et ses codes) dans laquelle il évolue.
Une honte, une solitude, une souffrance comme conséquence d'un temps où même bafouée, la morale dicte sa loi, au même titre que le prisme de la morale pouvait dicter mon approche du film il y a quelques années alors que McQueen tentait de réaliser une oeuvre dénuée de tout jugement.
En définitive, Shame est une oeuvre qui prouve que lorsqu'on filme alors on juge, on se positionne face à des valeurs, on porte toujours intentionnellement un regard. Pourtant il y a une possibilité de recul, même sur un sujet aussi "sensible". Par la fiction, l'artiste nous révèle le monde pour ce qu'il est. C'est ce recul qui permet ainsi à McQueen de saisir le sous-texte, les nuances, les regards. C'est d'ailleurs au détour d'un regard, tout en subtilité que notre réalisateur conclue son film. Un regard et pourquoi pas une espérance, celle d'une existence où l'humanité et la raison reprendraient le pas sur les passions et désirs dans la triste vie de Brandon.
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Créée
le 25 juil. 2016
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