Leçon de cinéma
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Nous sommes dans une fourrière. Où serait-ce une prison ? A moins que ce ne soit un asile. Peut être est-ce les trois à la fois. Allez savoir.
Un agent patibulaire accompagne un petit mouton apeuré vers sa geôle. Après avoir croisé quelques détenus canins peu avenants, l'on passe devant une cellule à la paroi vitrée. Dans cette cellule un chat qui nous menace en feulant. Ce feulement, nous l'avons déjà entendu de la bouche d'un homme... Hannibal Lecter.
Serait-ce un fou ? A moins qu'il s'agisse d'un monstre. Peut être les trois à la fois. Allez savoir.
Ce clin d’œil au film de Jonathan Demme n'est clairement pas la seule citation dans Shaun the Sheep, le nouveau long métrage des studios Aardman, c'est pourtant l'une de celle qui retient le plus vite et le plus durablement l'attention. Peut être pour la petite facétie du titre Le Silence des agneaux, très à propos ici. Mais surtout parce qu'elle résume assez merveilleusement le projet du film, aboutissement d'une réflexion sur le langage universel (lié étroitement au pouvoir de l'animation) entamée avec Chicken Run ainsi que Wallace et Gromit.
Souvenez-vous de ces poulets emprisonnés par une fermière tyrannique. Ils parlaient, tous, humains comme animaux, mais ne communiquaient pas, aussi démesurée puisse être leur bouche, aussi anthropomorphisé puissent être les gallinacés. A l'inverse, Gromit, antonyme superbe de son maître Wallace, extériorisait sans souci sa pensée malgré un mutisme complet (pas même un petit aboiement), grâce au miracle d'une animation dont le génie fut de faire s'exprimer une paire d'arcades sourcilières.
L'idée principale de Shaun de Sheep, celle qui tient tout le film et qui nourrit son inventivité de tout instant, c'est de faire grogner les humains. Ainsi, le morphisme des personnages va ici dans deux sens : l'anthropomorphisme (qui rapproche les bêtes des humains) et le zoomorphisme (qui à l'inverse rapproche les humains des bêtes).
De ce fait, jamais les hommes et les bêtes n'auront été aussi proches sans aucune aliénation (d'un côté comme de l'autre) et le film, à partir de ce postulat d'égalité et de mimesis déploie une sarabande de gags et subtilités visuelles souvent hilarantes (un exercice de séduction entre un agent de fourrière et une femme composée de deux moutons l'un sur l'autre), toujours pleines d'intelligence (des gants qui prennent vie pour donner aux moutons ce qui est l'outil principal de l'humanité selon Aristote : la main). Et le film, au milieu de cette frénésie inventive, de broder tranquillement une redéfinition du terme animal, en revenant à son étymologie latine (anima : le souffle de vie). Tous les personnages de Shaun the Sheep sont égaux, car ils sont tous animés.
Et lorsqu'un personnage perd sa sensibilité – en l'occurrence le fermier – il faut aller à son secours.
Celui ci , qui entretenait avec ses bêtes une relation très paternelle, voit ce lien sensible s'effacer au fil des années, par la routine et le devoir (matérialisés ici par une idiote to do list).
Lorsque le fermier perd la mémoire, la déshumanisation (ou plutôt la désanimation) est poussée à son comble : il devient par un concours de circonstance (par un réflexe machinal) une icône pop, une image de marque. Un robot que l'on l'empêche de sourire sur les photos promotionnelles.
La plus belle idée du film réside en la manière dont le fermier retrouve ses souvenirs. Ça se passe en deux scènes. Une première, où un morceau musical à la substance nostalgique (interprété par les moutons eux-mêmes) fera, de manière presque inconsciente, réagir l'hominidé abruti.
Et une seconde, magnifique : aux bords d'un gouffre et de la mort, les animaux – terrifiés – se ruent instinctivement (un instinct plus humain qu'animal, pour le coup) dans les bras du fermier. Ce geste, d'une simplicité somptueuse, réveille la mémoire du bonhomme, et – littéralement – le ré-anime. C'est sans doute la plus belle scène du film, et la plus belle scène de toutes les réalisations Aardman.
Ainsi dans Shaun the Sheep, hommes, bêtes, animaux sont comme pour Hannibal Lecter tous logés à la même enseigne. La différence, c'est que l'autre, dans le film de Mark Burton et Richard Starzack, n'est pas une proie potentielle. L'autre, c'est celui avec qui on se déguise, celui à qui on prête son doudou, celui dont on a peur aussi. Celui qu'on embête, celui qu'on protège, celui avec qui on partage le plaisir d'une chanson au crépuscule. Celui, enfin, qu'on serre dans ses bras pour le ramener à la vie.
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Créée
le 14 juin 2015
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