Il y a trois ans maintenant, j’avais lu un article du webmaster d’Ain’t it cool news où, à l’occasion de la sortie des blu-ray de la saga Star wars, il nous faisait part de la place monumentale que ces films avaient eu dans sa vie, comme ils l’avaient accompagné, comme ils l’avaient changé. Mon Star wars, c’est Shaun of the dead. Je peux sincèrement dire que c’est un film qui a changé ma vie, et pas qu’un peu. Je ne serais pas la personne que je suis aujourd’hui sans Shaun of the dead. Si je n’avais pas totalement adoré ce film d’Edgar Wright, je n’aurais pas eu l’envie de voir tous les films de zombies possible, je ne me serais pas ensuite intéressé au cinéma d’horreur, au cinéma Z et underground, à Troma, … Je n’aurais pas vu ce qui est désormais mon film favori, Dellamorte Dellamore.
Pour tout vous dire, rien qu’en voyant le menu DVD de Shaun of the dead, où l’on passe à travers un trou dans une zombie, je me suis demandé si j’avais bien fait mon choix au vidéo-club ; quand on pense à ce que je peux regarder aujourd’hui comme films trashs…
Sans Shaun of the dead je n’aurais pas non plus, avec un autre internaute, créé un forum sur les zombies, et je n’y aurais pas fait la connaissance de quelques personnes dont je ne pourrais me passer maintenant.
Les jours suivants mon premier visionnage du film, je ne cessais d’y penser, j’en parlais à autant de gens que possible, j’avais le désir ardent de dire au monde entier à quel point Shaun of the dead est génial (mais j’ai dû me contenter de mes quelques amis, qui s’en foutaient à moitié).
J’étais ado, j’achetais encore mes DVD à la Fnac et je n’avais pas assez d’argent, du coup j’ai loué le film. Trois fois en quelques semaines. Et quand je ne pouvais pas voir le film, je me revoyais la bande-annonce, plusieurs fois. Puis j’ai testé tous les films de zombies du vidéo-club. A l’époque il y avait MSN, et je ne mettais plus que des photos de Shaun of the dead en avatar.
C’est idiot, mais ça donne une idée de l’impact du film sur moi.
Je n’ai pas vu Shaun of the dead depuis quelques années maintenant, premièrement parce qu’il vaut mieux espacer les visionnages pour apprécier davantage le film en le revoyant (et la dernière fois, c’était un renouveau, je comprenais là encore pourquoi j’avais eu envie d’hurler sur les toits mon amour pour ce film), et deuxièmement parce que je m’étais dit depuis maintenant des années que la prochaine fois que je le verrais, il faudrait que j’en fasse une critique complète, détaillée, relatant aussi mon expérience. C’est ce que je suis en train de faire, je me lance, même si le problème est le même qu’avec la fois où je comptais faire ça pour Dellamorte Dellamore : je crains de ne pas pondre une critique à la hauteur.
Mais après une sorte de pèlerinage à Londres, où je me suis rendu à la maison de Shaun et l’appart de Liz (l’an dernier, c’était le Winchester), je me dis que c’est le bon moment pour franchir le pas.
Remettons les choses dans leur contexte, déjà. 2004, Shaun of the dead sort au cinéma au Royaum-Uni, et dans la plupart des autres pays les mois suivants. Il faudra attendre un an pour qu’il arrive en France, mais on en parle déjà, les critiques sont enthousiastes. Il faut rappeler qu’à l’époque, les zombies étaient loin d’être aussi en vogue que maintenant. D’ailleurs ce regain d’intérêt pour eux est en partie dû à Shaun of the dead, qu’on cite encore maintenant comme référence pour d’innombrables comédies avec des morts-vivants, Zombieland en tête.
Shaun of the dead a été un des premiers à tourner en dérision le mort-vivant, et demeure celui qui l’a fait le mieux. Edgar Wright accumule les idées de gags sur le zombie, qu’il nous sert à toutes les sauces, la créature servant tantôt à dresser une parallèle avec les humains emprisonnés par leur quotidien, ou avec les jeunes clubbers hypnotisés par leur musique, et à d’autres moments la gestuelle caractéristique des créatures sert à des gags visuels futés, comme lorsque l’épicier zombifié tend les mains, comme pour réclamer sa monnaie. Le rapprochement entre les humains et les monstres, c’était un thème qui parcourait l’œuvre de Romero, mais dont Wright montre ici l’équivalent humoristique.
D’ailleurs le cinéaste exploite le potentiel comique insoupçonné de n’importe quelle situation, aussi ordinaire ou fonctionnelle soit-elle. L’intrigue requiert que l’on parle d’attaques sur des civils à la TV ? Le réalisateur en profite pour en tirer un gag hilarant.
Le film regorge d’idées originales, qui ont donné autant de scènes cultes (le lancer de vinyles, le passage avec du Queen, …)
Edgar Wright l’a confirmé avec les trois films qui ont suivi celui-ci, il est avant tout le roi des gags visuels et se démarque, à une époque où la plupart des comédies ont une mise en scène effacée qui met en avant les dialogues. Une vidéo est apparue récemment sur Vimeo, "Edgar Wright – How to do visual comedy", elle décortique la méthode Wright, et fait vraiment se rendre compte de son génie.
Le jeune anglais a su se créer son propre style, avec ces transitions rapides qui résument diverses actions en quelques secondes, et tous ces mouvements panoramiques furtifs qui font passer d’une scène à une autre ; des idées casse-gueule, mais au rendu très réussi.
Shaun qui reçoit un appel personnel de Liz au boulot, Shaun qui se fait larguer, Ed qui prend une photo de Shaun avec Mary, … qu’est-ce qui rend ces moments si efficaces, et fait ressortir du comique là où il n’y en a pas forcément sur le papier ? La mise en scène, le rythme du montage, le choix des plans et de ce qu’on nous montre ou non.
D’ailleurs Shaun of the dead a un peu participé à mon éveil cinématographique, des années avant que je ne fasse une école de ciné ; il m’a fait me rendre compte de ce qu’on pouvait faire avec le hors-champ (quand Ed saute par-dessus le bar, ça n’est pas logique, mais le fait que ça se passe hors-champ fait que ça ne m’a pas dérangé), ou comme un élément peut avoir plusieurs fonctions et être utile à la mise en scène (les cris des zombies dans le Winchester ; je reviendrai là-dessus).
On voit là un film longuement pensé, au scénario lui-aussi visiblement travaillé et retravaillé. Shaun of the dead fait partie de ces films à l’écriture plus complexe qu’il n’y paraît, plein d’effets d’annonce, de double-sens, d’allusions diverses, qu’on ne remarque qu’après plusieurs visionnages, et qui procurent du coup un plaisir nouveau. Ce n’est qu’avec le temps que j’ai fait le lien entre tous ces petits détails qui semblent indiquer qu’Ed a bel et bien des vues sur la mère de Shaun (le clin d’œil dans la voiture, les couples qui se mettent la main sur l’épaule dans le Winchester, …), donnant par la même occasion une histoire de fond au personnage.
D’ailleurs je trouve les personnages très bien définis, c’est au fil de leurs actes et de leurs paroles qu’on parvient à dresser leur portrait, sans qu’ils ne passent pour des stéréotypes : par exemple Dianne qui apparaît comme la fille qui cherche toujours à voir le bon côté des choses, et qui veut aider à tout prix ; ça passe par des détails, notamment ce moment où elle se propose pour les transports, avant de se faire la réflexion qu’elle a le permis mais pas de voiture.
Mes premiers visionnages du film étaient en VF, ce qui ne m’a pas empêché de l’adorer, alors même que pas mal de gags passent à la trappe. Une autre des spécialités de Wright est de jouer sur les mots, créer des gags en mettant en lien les paroles et l’image, ou les paroles entre elles, et là encore c’est fait assez habilement. Pour ne citer qu’un exemple : Shaun qui traite Philip de "motherfucker", et puis s’adresse à sa mère en disant "sorry mother… er, mum".
Aux commandes il y a Edgar Wright mais devant la caméra, il y a des acteurs eux aussi excellents, menés par un Simon Pegg monumental. Toujours juste dans son jeu, il a un grand talent pour amuser rien que par son faciès ou la façon dont il prononce ses répliques, mais est capable de jouer aussi bien la comédie que le drame. L’une des grandes forces de Shaun of the dead selon moi, c’est ce changement total de ton dans sa dernière partie, un revirement qui se passe étonnamment bien. Le fait qu’on se soit attaché aux personnages grâce à leur humour joue pour beaucoup dans l’efficacité du drame ensuite, et la mise en scène aide à la transition. Lors du face à face entre Shaun et David, la tension monte jusqu’à nous prendre à la gorge, avec l’aide d’un artifice très efficace : les râles des zombies dont le volume augmente lentement, sans qu’on le remarque forcément. Les zombies existaient depuis une trentaine d’années, et je crois que personne avant n’avait pensé à les utiliser de cette façon.
Wright fait appel à tout ce que lui offre le cinéma pour rendre ses œuvres aussi complètes que possible, et la musique fait partie des outils à sa disposition. Je me plaignais hier dans ma critique de Guardians of the galaxy d’un manque d’interaction entre la musique et l’image, dans Shaun of the dead c’est l’inverse, non seulement la BO est très bien choisie mais elle colle parfaitement aux scènes, certaines étant mêmes montées en fonction de la musique.
Et dès le début du film, le réalisateur arrive à créer une ambiance très particulière grâce au mariage du son et de l’image. On sent qu’il y a quelque chose qui ne va pas, qu’il y a une tension semblable à celle du début d’un film d’horreur, dont Wright détourne les artifices pour créer une ambiance étrange mais décalée. Le meilleur exemple est la scène entre Philip et Shaun dans le magasin de ce dernier, où l’on rit à cause de la tension appliquée à une scène plutôt banale, une confrontation tout en retenue entre deux personnes qui ne s’apprécient pas.
Il y a aussi au début du film beaucoup d’effets de surprises et de sursauts qui jouent sur l’endormissement du personnage principal, sombrant dans la routine comme tant d’autres… Je ne dirais pas non plus que le film cherche là à tenir un propos, mais c’est un thème qui parcourt le film ; Shaun est un anti-héros qui risque de subir le même destin que les personnages de Clerks s’il ne se bouge pas, et l’occasion de prendre les choses en main se présente quand les zombies envahissent Londres.
Tout ce que j’ai évoqué, c’est présent dès la séquence d’intro, qui illustre parfaitement à elle seule le cinéma d’Edgar Wright, et qui m’a encore fait me dire, en la revoyant tout à l’heure, que ce réalisateur est un putain de génie. Il y a dans cette intro de quelques minutes seulement ces foreshadowings, ces jeux sur le langage, ces bruitages et musiques intelligemment placés, ce rythme soutenu, cette mise en scène et ce montage ingénieux, bref autant d’élément au service d’un humour à couper le souffle.
Je sais que l’humour est sûrement ce qu’il y a de plus subjectif, mais qu’on aime ou non Shaun of the dead, il faut lui reconnaître un énorme talent. Dès la première fois que j’ai vu ce film, il y a maintenant 8 ans et 1 mois (et quelques jours), je m’étais dit qu’Edgar Wright était un génie de la comédie. Je suis ravi de constater que maintenant, trois films plus tard, Wright est reconnu comme tel par un grand nombre de personnes.