Petite escale aujourd'hui chez un gros classique du cinéma muet signé Buster Keaton, à savoir Sherlock Junior sorti en 1924. Buster Keaton est, à l'image de Charlie Chaplin ou encore d'Harold Lloyd, une icône du cinéma comique muet. A l'instar de nombreuses stars de cette période, cet acteur-réalisateur n'a pas survécu professionnellement à l'arrivée du parlant et a sombré peu à peu dans l'oubli et l'alcoolisme. Fort heureusement sa carrière bien courte fut très prolifique et créative, et certaines de ses oeuvres demeurent aujourd'hui encore très efficaces et bourrées d'idées. Petit retour sur l'un des films phares du monsieur, une petite pépite.



Une nouvelle fois je commence la critique en déclarant que malgré ses presque 90 ans, ce film demeure très accessible même pour un public néophyte en matière de cinéma muet (ou de cinéma tout court même). D'une part sa durée moyenne (environ 3/4 d'heure) est moins contraignante que celle d'un très long-métrage et d'autre part tout ce qui fait l'humour et l'ingéniosité de Sherlock Jr demeure intact. D'autant plus qu'il a bénéficié d'une restauration numérique, le Bluray du film est d'ailleurs une belle réussite sans jamais le dénaturer.

Contrairement à un Charles Chaplin très expressif, Buster Keaton se démarquait par son allure flegmatique, nonchalante qui contrastait avec toutes les péripéties les plus malheureuses qui pouvaient arriver à ses personnages. De ce contraste naissait une forme d'humour subtile et originale qui ne nécessitait pas vraiment de surjeu. Histoire de relancer une petite pique envers un film récent archi-oscarisé grâce à une bonne campagne marketing: prenez-en de la graine messieurs Hazanavicius et Dujardin!

Le rythme du film est tellement soutenu que les temps morts n'ont pas le temps d'apparaitre, Buster Keaton nous embarque directement dans son histoire sans éléments superflus tout en gardant une fluidité exemplaire et une générosité permanente dans l'humour. Puis pas de l'humour à la The Artist façon "kikoo tavu kom le chi1 é draule" (bon ça fait deux piques), Keaton n'hésite pas à se mouiller et à risquer de se briser la nuque par ses cascades improbables (Buster signifiant "casse-cou"). D'autant plus que pas mal de gags passent par le génie de la mise en scène et du montage qui offrent un humour décapant, passant beaucoup par le visuel.

En soi, chaque plan du film est une idée de cinéma. J'étais surpris d'ailleurs de voir une telle cohérence parmi ces petites trouvailles, toute la séquence dans le cinéma est un véritable sommet d'humour burlesque et d'inventivité. Ce doit être d'ailleurs le film le plus délirant sur ce point-là que j'ai pu voir dans la filmographie de Buster Keaton même si on retrouve cette constante générosité dans l'humour et les trouvailles dans des films comme le Caméraman et The Navigator.



Puis le style Keaton ce n'est pas que du burlesque pur et dur. Il y a souvent cette touche romantique et ce côté poétique qui imprègnent ses films. On ressent de l'empathie pour ce petit technicien de surface minable qui tente de séduire une jolie femme mais qui multiplie les gaffes et se retrouve paumé en permanence, encore plus lorsqu'un imposteur tente de séduire sa dulcinée.

Entre un déluge d'idées de mise en scène et cette touche romantique, Sherlock Jr frappe fort. Le film est un modèle de rythme et de fluidité, et je le répète encore une fois il demeure encore tout à fait accessible aujourd'hui. C'est un humour qui, au fond, ne vieillit pas trop et fonctionne encore. Puis mis à part quelques petits gags un peu fastoches, c'est quand même beaucoup plus fin que le pipi caca prout.

C'est un film qui explorait déjà les capacités du cinéma tout en lui rendant hommage. Je me risquerai même à dire que le film propose une des meilleures courses-poursuites de l'histoire du cinéma bien qu'elle ne se situe pas vraiment dans le même registre que celles de Mad Max 2, Course contre l'enfer ou autres.

Finalement j'ai passé un grand moment devant un grand film comique qui brille sur bien des aspects. Je n'ai pas été hilare tout le temps pour autant mais j'y ai pris un plaisir monstre. D'autant plus que la fin est un petit bijou de tendresse. Sherlock Jr est un film qui se mange sans faim, le temps passe à une vitesse folle et on ressort avec le sourire aux lèvres. Tous les critères de la comédie réussie sont réunis, profitons-en vu la qualité de la majorité des comédies actuelles!
Moorhuhn
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le 27 avr. 2013

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Moorhuhn

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