Une porte se referme doucement sur une pandémie dans le monde réel mais une deuxième s'ouvre sur une autre, encore bien plus terrible, au cinéma avec "Little Fish". Quoi de de pire en effet qu'un mal planétaire qui amènerait un individu à oublier contre son gré, à voir s'évaporer de son esprit tous les fragments d'une vie qui ont forgé sa propre identité ? La NIA ("neuroinflammatory affliction", en gros, un Alzheimer touchant tous les âges et au développement accéléré mais aléatoire sur la durée) se répand en faisant sombrer l'humanité sous les yeux de Jude et Emma, deux âmes sœurs mariés depuis peu. Un jour, Emma réalise hélas que Jude est touché par ce fléau qui menace d'emporter les souvenirs de leur relation...


Le moins que l'on puisse dire, c'est que les manifestations par lesquelles "Little Fish" nous introduit à ces déflagrations mentales frappant au hasard la population ont toujours quelque chose d'incroyablement saisissant, convoquant une sorte de terreur primaire chez le spectateur face au néant irrationnel qui suivrait un délitement inconscient de sa mémoire. Afin de signifier le désordre mental à une échelle collective et instituer une ambiance globale de décadence, les électrochocs véhiculés par des anonymes soudainement vidés de leurs substances ne font qu'amplifier l'impression de désintégration de la normalité devant ce mal inarrêtable. En plus de ne pas être un bête argument opportuniste à la "Songbird" (la nouvelle d'Aja Gabel dont est inspiré le film date de 2011), ce contexte pandémique bien particulier est ici un acteur à part entière dans le but de faire partager l'insécurité et la paranoïa grandissantes de ce couple avant et après l'apparition des premiers symptômes de Jude.


Le bocal d'émotions où évolue ce "Little Fish" se construit évidemment autour des regards que Jude et Emma posent l'un sur l'autre, le monde qui les entoure ou la situation d'un couple d'amis (dans lequel on retrouve la chanteuse Soko) ne sont plus que des miroirs déformants chargés de leur renvoyer l'image la plus pessimiste possible de ce qui pourrait advenir de leur situation. La lutte intérieure de Jude pour au mieux espérer ralentir sa perte de repères trouve toujours le soutien indéfectible d'Emma, chargée d'éveiller chez lui la moindre réminiscence des moments-clés de leur amour.
À l'écran, ces souvenirs s'incarnent dans un pêle-mêle d'instantanés de leur relation, où l'imagerie parfois un peu trop idyllique est brillamment contrebalancée par la vérité qui en émane. La conjugaison d'une réalisation en quête de toucher à l'indicible des sentiments, du naturel de ses formidables interprètes (l'alchimie entre Olivia Cooke et Jack O'Connell en est presque palpable !) et de la sublimissime musique de Keegan DeWitt emmène la captation de ces moments vers une effervescence romantique qui sert d'ancre mémorielle là où tout le reste semble si facilement balayé par la maladie.
Et ce sera bien là toute la puissance émotionnelle dévastatrice de "Little Fish": l'amour posé en ultime mais friable rampart face à l'oubli dans un combat peut-être perdu d'avance ! Autant dire que cette lutte au cours de laquelle ces deux âmes sœurs se raccrocheront l'une à l'autre frappera de plein fouet dans une montée en puissance désarmante d'événements chargés d'appuyer ou non l'arrivée de l'inéluctable.
Devenue un peu prévisible au fil du film, la conclusion n'en demeurera pas moins magnifique et symbolique en bien des points, confirmant que les battements d'un cœur amoureux sont le seul guide possible à l'intérieur du plus épais des brouillards. Et, en ce qui nous concerne, celui que l'on aura entendu battre très fort tout au long de "Little Fish" nous aura fait vibrer à l'unisson.

RedArrow
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le 13 mai 2021

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