Si tu tends l'oreille
7.3
Si tu tends l'oreille

Long-métrage d'animation de Yoshifumi Kondo (1995)

Le courage de choisir sa voie (et sa propre "country road")

"Si tu tends l’oreille" fait partie de ces Ghibli moins connus qui étaient encore manquants à mon répertoire il y a peu. A l'inverse, "Le Royaume des Chats" figure parmi mes films d’enfance favoris, déjà vus des dizaines de fois mais toujours revisionnés avec plaisir une fois adulte. Alors, quand on m’a appris il y a quelques années l'existence d'un "préquel" aux aventures du chat Baron, j’ai su qu’il allait falloir que je me penche sur le sujet tôt ou tard. C’est désormais chose faite. Et même si j’estime que "Si tu tends l’oreille" ne peut pas être qualifié de chef-d’œuvre au même titre que certains Miyazaki ("Le Voyage de Chihiro" ou "Le Château Ambulant" pour ne citer qu’eux), il n’en reste pas moins un film très joli, un joyau secret n’aspirant qu’à être découvert.


En effet, ce qui frappe de prime abord dans ce film, c’est la beauté, la douceur et la poésie qui s’en dégagent malgré sa grande simplicité. Car "Si tu tends l’oreille" prend pour cadre la banlieue tokyoïte moderne du début des années 1990, et pour récit une histoire des plus insignifiantes en apparence – celle du parcours d’une jeune adolescente naviguant à vue dans un quotidien assez banal, cherchant à y trouver sa place et construisant peu à peu sa propre voie (entre études scolaires, relations familiales et amicales parfois compliquées, nouvelles rencontres et amour naissant). Mais ce quotidien, sa normalité et les personnages qui y évoluent sont dépeints avec tant de tendresse et d’attention aux détails qu’ils nous paraissent d’autant plus beaux et fascinants. De même, le pays de béton que constitue la ville devient soudainement un lieu charmant, se parant de teintes réconfortantes et de lumières douces dans de véritables fresques empreintes de beauté et de nostalgie. Cet univers urbain révèle aussi tout son potentiel de poésie alors que nous découvrons avec l’héroïne les hauteurs cachées de la ville, avec ses paysages aériens et enchantés et sa boutique d’antiquités débordant de merveilles, comme tout droit sortie d’un conte de fée – devenant un univers dans lequel Shizuku peut rêver sans limites et développer sa créativité. C’est là que le film prend une dimension nouvelle et proche du réalisme magique, dans le sens où il dépeint l’apparition soudaine de la magie dans le quotidien, à travers les visions pittoresques et féériques inventées par Shizuku (et inspirées des tableaux du peintre Naohisa Inoue, créateur d’un monde fantastique nommé "Iblard" à partir des années 80).


Outre les décors du film, ce sont aussi ses personnages qui nous emportent dans ce récit par leur côté simple, sympathique et attachant. Qu’il s’agisse des amis d'école de Shizuku, de ses parents bienveillants et compréhensifs, du grand-père de Seiji ou de nos deux protagonistes, ils peuvent tous nous évoquer des personnes de notre entourage, ou qu’on a pu croiser au cours de notre vie. Shizuku est en particulier très attachante. Elle est un personnage avec des qualités comme des défauts, auquel il est facile de s’identifier : un peu paresseuse et procrastinatrice, parfois susceptible et colérique, mais manquant aussi de confiance en elle-même et en ses capacités, éprouvant un sentiment d’infériorité face aux autres (par exemple par rapport à sa sœur, si travailleuse, fiable et indépendante, ou encore devant son rival puis ami et amoureux Seiji, jeune homme ambitieux, cultivé et talentueux par bien des aspects, qui aspire à étudier la lutherie en Italie... mais qui présente lui aussi des défauts tels que son caractère immature et moqueur au début du film)… Plutôt solitaire et introvertie, sans être vraiment timide pour autant, c’est dans les rêveries, les balades et la lecture qu’elle s’évade de son quotidien, incertaine quant à son futur. On la suit alors qu’elle cherche sa voie et choisit finalement de s’engager dans l’écriture, dans ce film coming of age traitant de la recherche d’inspiration dans chaque instant de sa vie et dans ses expériences personnelles, du courage de poursuivre ses rêves, de choisir sa propre voie, d'en prendre la responsabilité et d’en assumer les conséquences en s’y engageant pleinement, mais aussi de la patience et de la persévérance nécessaires pour progresser, grandir et atteindre ses objectifs. Shizuku comme Seiji apprennent ainsi à travailler dur pour réaliser leurs rêves respectifs, sous la houlette du vieux mentor sage et bienveillant, tout en s’encourageant l'un l'autre et en faisant preuve d’un respect mutuel. Tous deux finissent par comprendre et accepter qu’ils doivent continuer de mûrir, de gagner en expérience et de s’entraîner avant d’être prêts à atteindre leur but, même s’il leur faudra attendre des années avant de pouvoir pleinement vivre leur amour.

EctoplasMan
8
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le 20 oct. 2024

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