Si tu tends l'oreille par Ninesisters
Si tu tends l’Oreille comptait parmi les dernières productions du studio Ghibli qu’il me restait à découvrir. Peut-être car aucun nom passé à la postérité ne s’y trouve attaché, peut-être car son lien affiché avec Le Royaume des Chats – œuvre plaisante mais loin d’être leur plus marquante – m’a longtemps rebuté, ou peut-être tout simplement car je n’avais jamais pris le temps de m’y attarder. Il faut dire qu’un Ghibli ne s’aborde pas tout-à-fait comme les autres long-métrages d’animation japonais, notamment celui-ci en raison de critiques élogieuses et du destin tragique de son réalisateur, alors présenté comme l’étoile montante du studio mais décédé quelques années plus tard.
Ce film de près de deux heures raconte l’histoire de Shizuku, jeune fille vivant dans une famille japonaise aussi moderne qu’étrangement compréhensive. Non, vraiment, cela surprend de voir une telle structure dans une production nippone, loin du modèle du père employé de bureau, de la mère femme au foyer, et de la réussite scolaire avant tout. Ici, le père travaille à la bibliothèque municipale, la mère a repris ses études pour pouvoir ensuite participer au financement du ménage, et ils vivent avec leurs deux filles dans un appartement exigu où s’amoncellent des montagnes d’objets divers. D’habitude, chez Ghibli, c’est la nature qui fourmille de détails et de réalisme, tandis qu’ici, c’est le lieu de vie qui bénéficie de cette explosivité et de cette crédibilité, en faisant peut-être leur film le plus profondément ancré dans le quotidien.
Un quotidien finalement nécessaire pour nous montrer que les personnages principaux risquent à tout moment d’être confrontés à la dure réalité de la vie, qu’il s’agisse de leurs sentiments – qui ne réussiront pas forcément à toucher ceux à qui ils sont destinés – ou de leur futur, certains ayant choisi des orientations atypiques qu’il leur faudra assumer.
Ce réalisme omniprésent permet aussi de proposer un fort contraste avec les quelques scènes mettant en avant l’imagination de Shizuku, lesquelles affichent des décors exubérants imaginés pour l’occasion par ce grand malade impressionniste de Naohisa Inoue, auteur de Iblard Jikan au style reconnaissable entre mille. Si vous ne connaissez pas, attendez-vous à être surpris ; et même en connaissant, cela déstabilise forcément de voir ses peintures apparaître ici.
Si vous vous attendez à un grand récit d’aventure ou à une fable écologique, vous risquez de tomber de haut. Des productions habituelles du studio, nous retrouvons l’humanisme, la poésie, et une héroïne qui sait ce qu’elle veut, mais en dehors de cela, le film ne dévie jamais de son assise réaliste et de ses personnages vivant au mieux leur adolescence ; ici pas de métaphore, les seuls passages fantaisistes se résument aux pensées de Shizuku, et à la rigueur au comportement étonnant du chat Muta.
Si tu tends l’Oreille est une œuvre focalisée avant tout sur la tranche-de-vie, à la limite du contemplatif, même si nous y retrouvons les signatures habituelles du studio, comme quelques personnages plus décalés que la moyenne – l’antiquaire et son groupe de musique – ou encore la foule gérée comme un organisme vivant.
C’est d’ailleurs – outre un rythme forcément assez lent – le principal reproche que je ferai à cette production, et à nombre d’autres du studio Ghibli. En tant qu’amateur de cinéma, je considère qu’il existe deux types de réalisateur : ceux qui ont des tics, comprenez des éléments identifiables dans leur mise-en-scène, et ceux qui n’en ont pas. Or, Si tu tends l’Oreille est rempli de tics, mais ce sont les mêmes que nous voyons dans les œuvres de Hayao Miyazaki. Nous pourrions penser qu’il s’agit alors de l’identité du studio, mais nous retrouvons les mêmes dans ses travaux plus anciens, tandis que ceux de Isao Takahata s’en dispensent. Et c’est assez vexant de voir Yoshifumi Kondô devoir reproduire le style de son illustre ainé, même s’il arrive malgré tout à imposer des choix plus personnels. Dans ces conditions, cela ne surprend pas que Mamoru Hosoda ait abandonné Le Château Ambulant en pleine production, faute d’avoir pu s’imposer.
Malgré ces quelques reproches et, je le rappelle, un rythme qui pourra rebuter, Si tu tends l’Oreille est une réussite, autant qu’un enchantement malgré son apparente absence de magie.
L’introduction suffit à poser l’ambiance : une musique inattendue, un environnement urbain vivant et détaillé, j’ai été immédiatement conquis. La suite, à la fois belle, douce, et amère, vient confirmer cette excellence impression.
Si tu tends l’Oreille fait indubitablement honneur au studio phare du cinéma d’animation nippon, et nous prouve si besoin était qu’il existe des talents en dehors de ses fameux membres fondateurs, au point qu’il pourrait parfaitement continuer sans eux.