Forcément, sur le papier, « Sibyl » sonne comme un énième portrait de femme contrastée. Soudé sur fond de psychanalyse et de mise en abyme, ce film, premier de Justine Triet depuis « Victoria » en 2016, réveille, entre autre, les problématiques tissées par des cinéastes tels que Billy Wilder, au travers d’un nébuleux simulacre. Sibyl, ex-écrivain reconvertie en psychanalyste, se résout à écrire à nouveau. En manque d’inspiration, elle est contactée par une future patiente, Margot, actrice, la suppliant de la recevoir. Sibyl va alors utiliser ses confessions pour servir sa fiction. La suite du film n’est pas très longue, à peine plus d’une heure trente au total. Pourtant, Justine Triet trouve le temps de fragmenter l’espace, avec une harmonie autant déconcertante que décousue. Dès le début du film, dans une réunion d’ex-alcooliques anonymes, Sibyl, au moment où elle fait part à ses camarades de son intention de redevenir romancière, nous parle de ses retrouvailles avec la fiction comme d’une « ivresse sans danger ». En bonne et due forme, c’est à partir de cet instant que démarre l’aveuglement.


« Sibyl » est un film au présent. Rares sont les scènes dont la durée est de plus d’une minute, et nombreuses sont les simulations, et les stimulations. Un extrait d’« It Follows », de David Robert Mitchell, inaugure les hostilités dès le début du film : ici le cadre de la fiction décompose la réalité, avant que le texte ne déferle sur l’oral. Et au fur à mesure, Justine Triet s’oriente vers une mise en abyme certes jubilatoire, mais rapidement dépassée par sa propre nature. Tournée sur l’ile de Stromboli, la deuxième partie du film pourrait aussi bien être un coup de génie qu’un gigantesque capharnaüm. Mettant en scène un tournage chaotique — qui n’est d’ailleurs pas sans faire penser à celui du « Stromboli » de Rosselini ­­— « Sibyl » prend, assez subitement, des airs de faux remake de « Persona » d’Ingmar Bergman, auquel on aurait ajouté une sacrée dose d’autodérision. Forcément, toutes ces références à un cinéma d’antan ne font qu’accentuer le vernis de la caricature, de l’illusion, de la représentation ; dans lequel Justine Triet plonge sans circonlocutions. In fine, cela donne à « Sibyl » un air complètement fantoche, pour le meilleur comme pour le pire. Virginie Efira en psychanalyste tourmentée ne cessant de vapoter, Adèle Exarchopoulos pleurant dans une scène sur deux, ou encore Gaspard Ulliel en plein sur-jeux de séducteur. Justine Triet joue avec les ambivalences, avec nos perceptions et celles de ses protagonistes, mais aussi avec les doubles et les doublures. Bien évidemment, le décor constitué par l’ile de Stromboli n’est autre qu’une pure allégorie, et il n’est guère désagréable de contempler la mise en place de cette structure ludique. Mais à force de se complaire dans le contraste, « Sibyl » en oublie son sujet principal : le mal être. Au bout d’un moment, les séquences s’enchainent si vite, avec un tel crescendo, que l’on se désintéresse rapidement des désordres de la vie. Quelque part, cette manière faussement complexe d’aborder les tourments rapproche même le film d’une démarche pompeuse. Car il y aurait eu tant d’autres possibilités.


Reste néanmoins une œuvre tissée au fil rouge marquant une excellente surprise. Exploitant avec efficacité le leitmotiv de la mise en abyme, tout en explorant profondément l'abandon, le désir, et le chaos, « Sibyl » n'en demeure pas moins un plaisir ardent, palpable, à manipuler avec précaution. 


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Kiwi-
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le 25 mai 2019

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