Il est des sujets autour desquels Scorsese tourne depuis le début ; à certaines étapes de sa filmographie, il s’y confronte sans détour. La religion, qui l’obsède et torture un grand nombre de ses personnages par les thèmes de la grâce et de la rédemption, fut le sujet même de La Dernière Tentation du Christ, et, dans une autre mesure, de Kundun. L’idée était toujours la même : questionner le déchirement entre le sublime de la foi et les failles de celui qui la représente lorsqu’il s’incarne en être humain.


Silence reprend cette thématique, dans un contexte plus modeste : du Dieu en question, nous n’entendrons pas la voix : ce silence éponyme est au cœur du questionnement des hommes qui le servent, pères portugais partis au Japon pour tenter de poursuive une évangélisation qui fait face à toutes les exactions.


Le sujet est passionnant : moins dans cette lutte barbare qui voit les chrétiens contraints à renier leur foi sous la torture, que dans la question même de l’exportation d’une religion sur un autre continent : la résistance de celui-ci, le dévoiement du culte (la belle scène de baptême qui conduit au malentendu sur le Paradis), et les débats entre l’inquisiteur ou l’apostat et le Père Rodrigues sur le rôle du Christianisme au Japon : femme laide et stérile, ou grâce divine universelle répandue à travers le monde.


Le roman de Shûsaku Endô doit probablement restituer avec intelligence toute cette fébrilité théologique. Scorsese, de son côté, a beaucoup plus de mal à l’adapter.
Silence est d’une terrible maladresse dans sa structure, son rythme et son traitement. Passons sur l’interprétation un peu laborieuse de Garfield (qui, surtout dans ses premières apparitions, semble un clone de Scorsese dans sa prime jeunesse) et cette nécessité toujours aussi grossière de tourner en anglais (déjà pénible dans Kundun) alors que l’affrontement linguistique portugo-japonais eût été d’un grand intérêt.


Scorsese prône ici une ascèse aux antipodes de son style habituel (le grand écart est violent avec Le Loup de Wall Street, ce qui est tout à son honneur) : pas de musique (une très bonne idée, qui évite de surligner davantage les laborieuses répétitions), de longs débats, et une lutte interne qui conduit l’homme sur les rives de la folie. De ce point de vue, les similitudes avec La Dernière Tentation sont nombreuses.


Le problème, c’est le déséquilibre de la mise en scène : à la mesure (les scènes d’intérieurs, l’espace savamment découpés de l’architecture japonaise, les tableaux assez somptueux des paysages marins dans la brume) succèdent des mouvements savants et dispensables, comme des plongées ou zooms démesurées, virant jusqu’à l’obscénité lorsque la caméra commence son plan à l’envers pour filmer le visage d’un supplicié suspendu par les pieds.
L’écriture du récit elle-même accuse les mêmes maladresses : on a beaucoup de mal à comprendre l’intérêt d’avoir considéré comme définitif un montage aussi long et redondant. Toujours aussi fasciné par la violence, Scorsese cède trop facilement à son plaisir un brin sadique de nous décliner tout le catalogue des tortures envisageables, quand bien même elles sont probablement historiquement véridiques. Tout ne cesse de se répéter : les épreuves, les trahisons, les confessions de Kichijiro (quatre, cinq occurrences ?!), la douleur et la résistance.


C’est d’autant plus regrettable que l’évolution du personnage est tout à fait intéressante.
Les questions qui torturent le Père Rodrigues dans son épreuve sont celles de son humanité : faire face au silence de Dieu qui ne lui apporte aucun réconfort, et explorer la tentation de l’orgueil, lorsqu’il s’identifie au Christ crucifié, afin de justifier qu’on puisse mettre à mort pour lui les paysans martyrs.


Le choix de l’apostasie représenté par le Père Ferreira qui attend deux bonnes heures avant de réapparaître est ce point de vue fascinant et questionne tout le protocole dogmatique de l’Eglise : que signifie réellement le fait de piétiner physiquement une icône lorsqu’on a la foi ? Les deux instances sont renvoyées dos à dos : l’Eglise, qui multiplie pour les illettrés les signes extérieurs et matériels de son prosélytisme, et l’autorité nippone qui encourage le renoncement en expliquant qu’il ne s’agit que d’une formalité.
Le long épilogue prend un sens réel à l’épreuve de ce nouveau silence. Les prêtres ne prêchent plus, et sont complices de leurs tortionnaires, mais des indices ne trompent pas quant à leur engagement intime. Le silence a changé de camp : il était l’indifférence d’un Dieu inaccessible, il est devenu la manifestation inébranlable d’une foi qui délaisse les questions humaines de pouvoir, de politique et d’éducation. Cette accession, par l’ascèse et l’épreuve, à la forme la plus pure de l’amour, cette expérience de la sublimation donne du sens à ce qui précède, sans pour autant justifier la lourdeur du chemin de croix pour y parvenir.


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Sergent_Pepper
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le 14 févr. 2017

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