Hier soir, j’ai regardé Silenced, sous les conseils d’un de mes éclaireurs. Ayant en tête le synopsis et le fait que l’œuvre s’inspire d’une histoire vraie, je m’attends donc à voir quelque chose de dur, de troublant. Et bien effectivement, c’est une véritable claque dans la gueule que j’ai pris, un énorme coup de poing qui m’a mis K.O. Oui, ce film m’a mis K.O.
Silenced (Do-ga-ni de son titre original) est un film sud-coréen sorti en 2011 et réalisé par Dong-hyuk Hwang. Il raconte l’histoire d’un jeune professeur d’art pour sourds et malentendants fraîchement recruté dans une école adaptée. Rapidement, il va découvrir que plusieurs enfants sont l’objet de violences et d’abus par l'équipe enseignante dont la cruauté est sans limite. Commence alors tout un processus pour rendre justice aux enfants et faire payer les tortionnaires. Je n’en dirai pas plus pour l’instant.
Le film de Hwang est « grossièrement » divisé en 2 parties. La première pose le décor avec notre jeune professeur qui débarque dans l’école spécialisée et se rend compte assez rapidement que quelque chose cloche entre les enfants et les professeurs. Dès lors, le réalisateur nous enveloppe d’une peau de chagrin qui nous comprime de plus en plus à chaque minute du film. Car oui, j’ai été mal à l’aise, j’ai tremblé, j’ai dû faire des pauses devant la monstruosité de l’être humain sur ce qu’il existe de plus faible. Je ne pouvais que difficilement soutenir ces scènes où le réalisateur choisit de tout montrer : viols, enfants battus, torturés, tout y passe. Mais ce n’est pas un reproche que j’énonce ici, bien au contraire. Oui, au contraire, j’admire ce choix qu’a pris Hwang (et certainement de nombreux autres membres de l’équipe de tournage) de ne rien cacher, de nous présenter la réalité dans ce qu’elle a de plus brute, de plus sale, de plus réaliste, de plus vraie. Là où de nombreux long-métrages (notamment du cinéma occidental) auraient essayé d’avancer des faits similaires par des sous-entendus, en nous masquant la violence des délits pour ne pas trop choquer l’opinion publique, Silenced ne nous épargne pas et comme je l’ai déjà évoqué, nous met K.O. alors que même pas trois quart d’heure ne se sont écoulés. Il est important de noter dans ce contexte le travail des acteurs. Bien sûr, celui de l’équipe scolaire qui réussit son pari de faire naître à l’écran de véritables démons dont on aimerait voir les têtes embrochées sur des pics. Mais avant tout, je tiens à mettre un point d’honneur sur les enfants qui avaient pour la plupart moins de 18 ans au moment du tournage. Que dire, si ce n’est que j’ai pu voir un des meilleurs jeux de comédiens devant une caméra, tout simplement. Ces chérubins brillent. Ils brillent lorsqu’ils se font violenter, devant une caméra quand ils content leurs malheurs, en témoignant dans un tribunal censé représenter la justice absolue, ou encore sur une plage, dans des scènes minimalistes qui ne basculeront jamais dans le mélodrame. Malheureusement, cette excellence dans l’action de jouer la comédie n’est sans rappeler l’envers du décor où de véritables enfants ont subi le joug pendant près de cinq années de sales merdes.
C’est donc tout secoué que je poursuis le visionnage du film. Les enfants ont parlé, un procès doit alors s’ouvrir. On se dit, en tout cas, mon innocence me fait dire que vu les chefs d’accusation, les directeurs et professeurs ne peuvent pas s’en sortir, ce n’est tout simplement pas possible. Mais il n’en est rien et on réalise très vite que le procès est loin d’être gagné. Je tiens à profiter de cette occasion pour mettre en évidence le fait que nous, les petites gens, ne sommes rien dans ce bas monde. Nous sommes très aisément écrasés par les gens « de la haute », eux qui ont de l’influence, de l’argent, de la puissance, eux qui donnent soi-disant le bon exemple mais qui sont les plus grands connards de la Terre. Oui, nous n’avons pas l’influence, ni le pouvoir et on se fait dévorer tout cru par un système impitoyable. Tout cela est peut-être bien péjoratif et pessimiste mais on ne peut pas nier l’évidence et Silenced est une véritable leçon de vie à ce propos. En effet, en parvenant à opposer intelligemment d’une part, les accusés ainsi que leurs familles et amis et, d’autre part, les victimes et leurs familles, l’œuvre démontre que la balance est totalement déséquilibrée entre les deux camps tout en nous faisant comprendre qui a l’avantage. Pourtant, ce sont des faits accablants qui tombent en trombes sur les accusés, nous donnant espoir sur l’issue du procès. Mais il est vrai que lorsque nous sommes hauts membres de l’église de la ville, que lorsque nous avons comme relations de puissants médecins, des procureurs, des policiers et j’en passe, nous avons le droit de tout nous permettre, y compris battre, « aimer » des enfants ou, en d’autres termes, foutre leurs vies en l’air. Après tout, quand on sert sa communauté, on peut bien se permettre d’enfreindre la loi. Le pire est que pour ces individus, commettre ces actes a basculé dans le registre de la normalité. Ils ont le droit, ils sont tout permis.
Je vous laisse deviner l’issue de l’audience. Alors que d’un côté, certains dansent tel un bal où le prince et sa princesse s’envolent au son d’une douce mélodie, de l’autre côté, les autres hurlent de douleur, de chagrin, de désespoir, de colère, tentant de se jeter sur l’avocat, se rendant compte qu’effectivement, ils ne sont rien face à ces puissants et invincibles salopards. C’est comme si un mur, une frontière séparait les deux partis. Alors qu’on danse, baise, fête sa victoire du bon côté du mur, on est anéanti de l’autre côté. Mais finalement, quel est le bon côté ? J’ai trouvé ma réponse.
Donc oui, je maintiens ce que j’ai avancé, nous vivons dans un monde dégueulasse, un monde de p****. Un monde où un chèque permet au fils de papa de réussir un concours, où nous devenons aveugle lorsqu’il s’agit de juger les actes affreux d’individus qui pourtant servent si bien la société, où nous jetons sans compter nos denrées alimentaires alors que près de centaines de millions d'individus crèvent de faim, où nos dirigeants nous conseillent de faire des efforts pour nous la mettre bien profondément juste après, où tout ce qui s’y déroule n’est certainement pas la faute d’une puissance divine ou d’une quelconque religion, non, mais bien de la connerie humaine.
Malgré tout, Silenced est une magnifique plaidoirie sur la splendeur des relations humaines. Entre la mère autoritaire mais inquiète et aimante pour son fils, entre le père et sa fille dont l’amour s’exprime et atteint le septième ciel au travers des victimes, lors d’un simple repas où une petite fille mange comme un cochon, au bord de la mer, le soleil couchant où le temps semble s’arrêter, en classe où la bonté de l’Homme est imagée au travers de dessins. On souffre avec les personnages mais on rit, on est heureux avec eux.
Ne pensez donc pas que je n’ai en tête que des idées noires, loin de là. Comme la conclusion de Silenced le démontre, il y a de l’espoir. On marche, on court dans le parcours de nos vies et très souvent, on tombe, on s’écrase mais on se relève, on avance avec nos blessures, nos forces. Ce parcours en croise d’autres, pour le meilleur et pour le pire. Au fond, la vie est belle et vaut le coup d’être vécue (même si on ne naît pas tous égaux sur ce point). Profitons de la vie mais surtout et avant tout, de ce qu’elle a de plus simple à nous offrir. Une philosophie de vie à respecter est celle d’être heureux, tout simplement. Un point qu’on a tendance à oublier de nos jours.