L'haleine d'un vieux
C'est toujours étrange de voir dresser le portrait au cinéma d'un homme toujours vivant. Berlusconi a 82 ans et a de moins en moins d'influence politique mais il poursuit sa quête obsessionnelle...
le 31 oct. 2018
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Le nouveau Paolo Sorrentino va diviser, en fait toute sa filmographie divise déjà depuis 2011 (This must be the place) ou 2013 (La Grande Bellezza, peut-être le plus beau film de ces dernières années).
Il nous offre comme à son habitude le portrait tout en finesse d’une personnalité « Bigger than life » confrontée à des problèmes existentiels, la peur de vieillir et de mourir auquel le spectateur peut se rattacher (dans la lignée de La Grande Bellezza et Youth), une certaine solitude induite par son existence hors norme, la notion de pouvoir souvent (déjà traitée avec Il divo et The Young pope). Ensuite, Sorrentino prend un malin plaisir à contraster ces angoisses métaphysiques avec l’hybris permanent dans lesquels ses caractères baignent, on tape dans le monde des 0,01 % illustré par une bande-son de techno parade diablement accrocheuse avec des effets clipesques assumés et sublimés. Une fête éternelle dont nos héros sont autant acteurs, spectateurs, rois et bouffons, trop vieux pour ça mais accros à mort.
Autant dire que voir Sorrentino s’attaquer à Silvio Berlusconi, lui qui est fasciné par la politique italienne, la vieillesse, la vanité, la vacuité et les jolies filles, était une évidence telle que l’on ne s’étonne pas de voir son style poussé dans ses derniers retranchements, voire les dépasser en alternant autoparodie jouissive et performance marquante. A côté le loup de Wall-Street fait spin-off des Barbapapa et Kenneth Anger reportage arté. La première heure de Silvio et les autres en devient Sorrentinesque au possible, si la toute première scène peut être vue comme une métaphore visuelle excessive et cruelle de ce que Silvio a fait à l’Italie, la suite avec un entrepreneur moitié-arriviste moitié-proxénète – un jeune Silvio wannabe - lui permet de mettre en lumière la « normalisation » des excès à la Berlusconi. Mettant presque un tiers du film à aborder à son sujet, on y vient comme on remonterai une explosion nucléaire, remarquant d’abord des vitres détruites pour passer des paysages de plus en plus dévastés jusqu’à arriver au cratère initial, ground Silvio. Le portrait grivois, drogué et amoral de sa vision de la jeunesse dans le sillage d’il cavaliere n’a aucun filet et aura fait fuir deux spectateurs avant de se finir dans un coucher de soleil d’une ironie et d’une cruauté folle. Oubliez La dolce vita, le strass a tourné aigre en découvrant la cocaïne.
Arrive Silvio, quasiment à une heure de film, l’exceptionnel Toni Servillo chauffé à blanc pour phagocyter le reste du métrage de sa présence écrasante. Sorte d’Ogre figé dans un sourire marmoréen botoxé, énigme psychiatrique concupiscente, corrompu impuni, usine à punchlines cyniques. Tout à la fois et bien plus, on le déteste cordialement mais on est scotché par cette espèce de Monsieur Loyal du cirque politique Italien. D’autant plus que Paolo Sorrentino a décidé de le cueillir bien mûr, de 2006 à 2010, quand pour ses 70 ans, l’ancien magnat immobilier devenu président se remet en question suite à un revers électoral pour se réapproprier le pouvoir. L’animal politique, du genre prédateur, semble tenir le monde au creux de sa main dans son Disneyland pour adultes au fond des Pouilles, parti tellement loin dans son populisme et le personnage publique exubérant vendu au monde entier qu’il est depuis des décennies au-delà de toute rédemption. Sorrentino a l’art de l’anti-biopic, son Citizen Kane vicieux restera impénétrable, traversant son divorce et ses armées de courtisan.e.s dans un ton égal. Les scènes s’enchaînent sans fil rouge ou presque, et c’est difficile de voir un film aussi long (2h40, le condensé des deux films de 1h40 du projet initial) qui part très fort, peut-être trop, pour se calmer et devenir aussi intimiste avant d'aboutir à un Silvio égal à lui-même, désespérément inébranlable. S’il y avait mis un peu de musique française, je suis certain que Paolo Sorrentino aurait trouvé un écho dans les vers de Stromae « Bâtard, tu es, tu l'étais, et tu le restes. »
Silvio et les autres, originellement « Loro » soit « eux », le titre ne ment pas, le film est sur l’Italie avant tout, celle que Silvio a très bien compris mais jamais aidé. Jouant sur les contrastes (le beau/le laid, la jeunesse la vieillesse, riche/pauvre, amour/haine) Sorrentino divinise Silvio pour mieux le détacher du monde réel, comme on envoie en l’air une boule de papier dans l’espoir qu’elle finisse dans une poubelle. Tentative d’enterrement viking d’un fascinant cancer humanoïde ? Difficile de juger en hexagone ce que représente pour un italien ce magnat de l’information quotidiennement à la télévision italienne depuis 40 ans et qui a, par bien des aspects, précédé Trump.
Et la rédemption dans tout ça ? Elle est pour l’Italie peut être, le séisme de 2009 à L'Aquila servant de bouquet final, l’énième métaphore du film pour montrer qu’il y a peut-être un peu de beauté à sauver au milieu des ruines du pays.
Avec ses 2h40 au rythme decrescendo, aux fins à rallonges, mais au deuxième degré de lecture de plus en plus épais, entrecoupées de pures visions de cinéma et d’un jeu mémorable de Toni Servillo, Silvio et les autres est à l’image de son sujet, tellement over the top que l’on hésite entre fascination et écœurement. Vraiment pas le bon film pour entamer l’œuvre de son réalisateur, par contre il est définitivement un essentiel pour tous les initiés.
Créée
le 2 nov. 2018
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