Silvio c'est Berlusconi, revu et corrigé, l'aspect sulfureux en moins. Une occasion pour Tony Servillo de tourner de nouveau avec Paolo Sorrentino et malgré quelque excès, l'acteur assure de bons moments un tantinet théâtraux.


L'homme qui aura marqué son pays par son sens du spectacle, sa capacité à la manipulation et ses vues de l'esprit, aujourd'hui loin de la télé et de la scène politique, est un homme en crise, luttant contre l'oubli, tentant encore de faire illusion.
Séducteur pathétique, sourire de façade, en quête d'une seconde jeunesse et de son pouvoir perdu, isolé dans sa grande demeure, rejeté par le monde entier. Seul et abandonné de tous... Et pourtant.
Elégamment nommé Lui par ses adorateurs, Silvio c'est le fantasme absolu. Tous ne parlent que de Lui, l'appellent Lui, ne rêvent que de Lui et à chacun de ruser pour entrer dans sa sphère. C'est alors que Sorrentino joue de sa propension à l'excès. Une multitude de corps dénudés et dansants, de fêtes où l'on rivalise de maillots de bains et de déhanchés, de regards et de propositions, de drogues et de jeunesse prostituée. Mais Silvio n'est pas là. Et la première partie se fait longuette, même si l'on retrouve sa patte à lier la beauté au monstrueux, on se perd un peu dans des saynettes artistiques pas toujours réussies pour nous poser le contexte d'une Italie en plein malaise.


Et Silvio, c'est aussi les autres. Ceux qui naviguent autour prompts à se servir, ceux qui se sont fourvoyés, les trahisons et les accords douteux et autres pots de vins. C'est aussi une épouse qui s'est oubliée au profit d'une vie rêvée (excellente Elena Sofia Ricci).
Egal à lui même, Silvio ne s'en laisse pas compter pour autant et oscille entre déprime et fantasme d'une vie meilleure. Il se déguise et chante des tubs italiens pour reconquérir sa femme, vendeur et acteur invétéré, il téléphone à une inconnue pour s'assurer de sa force de conviction, il forme son petit fils à l'art du langage et regarde d'un air lointain, à peine tenté, les corps juvéniles qu'on lui soumet. L'eau a coulé sous les ponts.


Ce drame de la solitude renvoie à Il Divo ou le déclin de Giulio Andreotti, autre figure de la scène politique italienne. Sorrentino arrivait, comme ici d'ailleurs, à nous le rendre presque sympathique, avec cette façon de surprendre au milieu de tout son fatras par des envolées nostalgiques et mélancoliques jouant de la sensibilité de l'homme.
Malgré quelques scènes hors du temps comme il en a le secret ou d'humour à froid , l'ensemble est moins incisif qu'espéré. Intégrant constamment dans sa narration des moments d'arrêts sur image ou de décalage colorés et musicaux, ceux-ci n'auront pas la poésie de La Grande Bellazza.


Reste une sorte de métaphore du divertissement nous rappelant à la politique dévastatrice de Berlusconi, et d'une culture en berne.
Avec La Grande Bellazza, Il Divo, ou Les conséquences de l'amour, on pourra mieux apprécier le travail du cinéaste à nous raconter l'Italie.
Sorrentino c'est le portrait du vide, entre fantasmes, rêves et réalité. Un cinéma d'artifices, parfois dérangeant ou grossier mais qui n'en reste pas moins novateur et réflexif, mêlant l'histoire, la foi, l'allégorie et la poésie. Une mise en scène esthétique et un fourmillement créatif jouissif. C'est vivant, et à la verve assassine, et c'est bien ce qui fait défaut sur la longueur, à Silvio et les autres.

limma
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le 6 mars 2019

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