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Quand le téléphone rouge de l'adultère sonnera, oserez vous y répondre ?

C'est beau. On remarque tout de suite l'esthétique du film, la magnificence de chaque plan, la mise en scène réfléchie, points sur lesquels je reviendrai bien évidemment. A cela vient s'adjoindre un propos parfaitement maitrisé sur le couple, le désir, la famille et bien sur l'amour. C'est intelligent, fin et appuyé. C'est bon, très bon. Moi qui pensait le film à l'eau de rose condamné à être ringard et inintéressant…

Monia Chokri convoque tous les codes de ce genre loufoque pour nous délivrer une tragédie sentimentale et sociale fondée sur un amour stupide et immature. Platon, Schopenhauer, Jankélévitch sont innocemment cités avant d'illustrer leur propos, laissant deviner l'ossature d'une réflexion plus poussé sur l'amour pour ceux qui le souhaitent. Monia Cherki parvient à capter les mimiques révélatrices des arrières pensées honteuses, elle marque les temps de pause nécessaires pour créer le malaise, elle amène le propos social en toile de fond pour mieux le laisser imploser à la fin. La petite bourgeoisie pédante à la vie facile, comme les plouques racistes de la province, tout le monde prend. Puis sans déconner certains plans sont juste magnifiques. Les jeux de lumière sont magnifiques, c'est beau. Le couché de soleil brun orangé se reflétant dans l'étang, le contre-jour utilisé pour représenter le vide de Sylvain/Xavier respectivement avant/après le passage de Sophia (et oui leur existence est vide sans amour), les corps nus se lacérant la peau.

Les personnages sont très bien écrits et incarnés. Sophia perçoit les choses différemment de ces amants, on remarque bien que le film opère une dichotomie du désir masculin et féminin. Sophia semble se contenter de son désir, elle tire partie de ces amants et elle pense que c'est réciproque. Elle se refuse à avoir des responsabilités, celle d'avoir des enfants (elle regarde médusée son amie courir et hurler après ces enfants capricieux) ou encore celle de voir son époux mourir (à travers ces beaux-parents). Du côté des mecs, l'heure n'est pas à la fête non plus. Il faut faire des enfants, il faut faire la demande en mariage etc., que d'écrasantes obligations que la femme peut refuser d'un revers de la main. La candeur se lit à même leur visage lorsqu'il réalise qu'ils vont se faire larguer comme une vielle chaussette. Ils s'attendaient à quoi ? L'amour physique est sans issue disait Gainsbourg. Et comme le désir charnel semble indispensable…

Le film nous achève sur un échec tragique d'une esthétique splendide. Sylvain, le simple, comprend l'impossibilité pour lui de s'unir formellement à la femme de sa vie, voyant dans le regard cruel de Judith décapitant Holopherne, celui d'une femme dégouté par l'impureté de son propre désir. La découverte effrayante de l'œuvre du Caravage est suivi d'un plan centré sur Sylvain, perdu dans ces pensées, méditant sur l'impasse et le ridicule dans lesquels l'ont noyé ses espérances. Les convives semblent bien loin de sa demande en mariage pathétique, tous le savent, cette histoire n'est pas sérieuse. Sylvain, seul au centre des convives, s'évapore dans un songe lugubre en contemplant les reflets diaphanes de l'aquarium. Ces reflets azures se confondent dans sa chemise de mauvais goût et dénotent dans le chic de ce milieu mondain. Il se maudit, lui et sa naïveté, d'avoir cru cette union possible. Tout ça contenu dans quelques secondes d'une justesse totale et d'une esthétique renversante. Et c'est pas juste de la branlette. C'est beau.

Rollsroyce
9
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le 10 nov. 2023

Critique lue 107 fois

1 j'aime

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