Entre les mûrs
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le 30 janv. 2025
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Greg Kwedar, en étroite collaboration avec son acolyte Clint Bentley pour l'écriture, signe un film fort, émouvant et riche en relations humaines, se déroulant dans l'univers carcéral de Sing Sing, situé au nord de New York sur les bords de l'Hudson River, et dont seul le nom inspire à la légèreté ! En effet cette prison de très haute sécurité abrite de dangereux criminels condamnés à 25 ans de prison minimum, à majorité de couleur noire.
Le métrage de Greg Kwedar s'inspire avec conviction et dignité du programme RTA (Rehabilitation Through the Arts), lancé à Sing Sing par Katherine Vockings en 1996, en lui rendant un vibrant hommage par la reprise d'une de ses créations originales, la pièce comique Breakin' the Mummy's Code, et en s'appuyant sur l'histoire vraie d'un détenu condamné pour un crime qu'il n'a pas commis.
Le thème de la préparation à la réinsertion en prison par des activités artistiques ou jeux de rôles n'est pas nouveau au cinéma, avec César doit mourir (des frères Taviani en 2012), entre documentaire et fiction, Un Triomphe (de Emmanuel Courcol en 2021), fiction inspirée de l'histoire vraie d'un acteur en reconversion dans une prison, ou bien encore l'excellent Je verrai toujours vos visages (de Jeanne Herry en 2023) sur le cas particulier de la justice restaurative.
Sans jamais frôler le documentaire, Sing Sing est à ma connaissance le seul film américain du genre, dans un univers carcéral réputé pour sa dureté, et où se côtoient simultanément les relations d'affrontement entre prisonniers écrasés par leur peine quasi à perpétuité, la complexité des demandes de remise de peine, attendues comme des miracles, et pour certains ces ateliers de théâtre qui apportent un fugace espoir de liberté en contraste à d'épouvantables conditions de détention.
Réussissant la prouesse de faire jouer avec sensibilité des anciens détenus de cette prison ayant participé au programme RTA, le réalisateur fabrique un scénario sous tension entre Divine G (un immense Colman Domingo, acteur déjà primé pour le film), le détenu modèle condamné à tort (flanqué de son acolyte blanc Mike Mike), hyper impliqué dans les ateliers de théâtre, auteur de pièces et spécialiste des dossiers de remise en liberté, et Divine Eye (Clarence Maclin, cet ancien prisonnier qui semble avoir le cinéma dans la peau), ce détenu caïd et mafieux, qui débarque contre toute attente en pleine préparation de la prochaine pièce, organisée et cadencée avec sérieux et brio par leur coach Brent Buell, interprété par un Paul Raci plus vrai que nature.
La mise en scène est habilement réalisée, dans des locaux adaptés qui jouxtent la prison, comme si on y était, alternant le grand espace réservé à la préparation de la pièce, et l'exiguïté extrême des cellules, qui permettent toutefois quelques confidences d'une grande humanité.
Le tournage en 16 mm caméra à l'épaule donne souvent une impression intime d'improvisation, au plus près des acteurs, ce qui nous fait ressentir les ascenseurs émotionnels, entre joies authentiques lors des multiples répétitions des scènes, mélancolie ou encore désillusion sur leur situation désespérée et interminable !
Une des grands moments est sans doute quand le coach théâtral demande aux participants de réfléchir à un moment cher puis de l'exprimer tour à tour aux autres; les déclarations qui s'en suivent sont empruntes de poésie, de gravité, et de profondeur des sentiments; mais est-ce étonnant quand on donne cette opportunité à des hommes qui sont en pénitence depuis de nombreuses années ?
Le film ne manque pas de rebondissements passionnants et de beaux moments d'espoir qui donnent envie de dire du programme RTA : Play Play, en réponse à ce sinistre Sing Sing !
A voir sans modération pour un grand moment de vrai cinéma.
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Créée
le 29 janv. 2025
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