Sing Sing
7.2
Sing Sing

Film de Greg Kwedar (2023)

La réinsertion par l’art est-elle possible ? Aux États-Unis, cela semble être le cas. Plus que la réinsertion d’ailleurs : la ré-humanisation des détenus, après une longue peine en prison de haute sécurité. Barbelés exponentiels, fouilles sans égards, cellules minuscules en triangle où la couche touche la cuvette des toilettes, bienvenue à Sing Sing, État de New-York. Établissement correctionnel de sécurité maximale pour hommes, avec vue sur l’Hudson et les lumières de la ville. Ne pas s’y fier, pas davantage à la mythologie de la prison qui traverse chansons et films cultes. La réalité n’est pas glamour. Les prisonniers sont gangsters, meurtriers, dealers. Des durs. Tatoués, coupés iroquois, blasés. Pourtant grâce au programme rta-arts.org de réinsertion par les arts, l’espoir est permis.


Dans le drame carcéral réalisé par Greg Kwedar, on suit un groupe de détenus à l’atelier théâtre. L’un d’eux, Divine G, en est à l’origine. L’affaire est sérieuse et cadrée par un comité organisationnel qui assure la promotion de l’atelier, le casting des comédiens, la distribution des rôles, la mise en scène, l’écriture de pièces quand les textes ne sont pas des classiques de la dramaturgie, les répétitions, le budget, les accessoires et les costumes, le rétroplanning jusqu’à la générale devant un public. Sans oublier la gestion des imprévus. Car au long de l’atelier annuel, tout peut arriver : une libération conditionnelle, une rupture d’anévrisme, un sérieux pétage de plomb, l'isolement.


Les acteurs de ce film jouent, pour la plupart leur propre rôle. L’un d’eux, Clarence Maclin (Divine Eye), est coauteur du film, avec John Divine G Whitflield, interprété par Colman Domingo. D’après l’œuvre de Brent Buell, interprété par Paul Raci, le metteur en scène.


Divine Eye, c’est le bad bad boy et le héros. Quant à son compère, avec lequel il partage la vedette, Divine G., il a été incarcéré pour un crime qu’il n’a pas commis. De commission en commission, il ne parvient pas à convaincre le jury de son innocence et de sa sincérité, alors qu’il a identifié toutes les pièces à conviction susceptibles de l’acquitter. Cet atelier lui permet d’exorciser ses démons et sa rage contenue, mais l’enferme aussi : il le prend trop à cœur, s’oublie à force de soutenir les autres. Cela ne fonctionne pas : sa peine est là, à fleur de peau, qu’il le veuille ou non.


Le film n’est jamais brutal ou attendu. Aucun cliché carcéral ou viril. Ni jugement. Rien de sauvage. Rien à charge ou à décharge. Le film ne porte pas sur la prison. On devine les actes commis mais cela n’a pas tellement d’importance. Le propos est ailleurs. Il est question d'humanité. On découvre des hommes sensibles, qui osent se dévoiler, bien décidés à en découvre avec leurs sentiments et leurs ressentis. On découvre des artistes, des acteurs qui évoluent sous nos yeux. On y apprend avec eux la colère forcément, la peur, la joie, le plaisir, la solidarité, le chagrin, la générosité, l'altérité et l’amitié. On y apprend les aveux et la connaissance de soi. On y apprend à écouter. On y apprend le silence. À se dépasser. À dépasser le déni. À fendre l'armure (au sens propre et théâtral). On y apprend la fierté et la reconnaissance.


À la différence des ateliers de longue durée (rares) des prisons françaises de haute sécurité, à Sing Sing les détenus ne s’inscrivent pas pour obtenir des remises de peine et autres faveurs opportunistes. Ils s’engagent, s’impliquent pour le projet collectif, pour leur réhabilitation personnelle. C'est institutionnalisé et organique. L'atelier artistique est un accès possible vers une seconde chance (ultime), vers la liberté et cette fois-ci, c’est à eux seuls de la conquérir, cette si précieuse liberté.


Pour nous autres, libres, la liberté est parfois difficile à vivre, c’est un combat quotidien, une gageure de chaque instant mais ensauvagé, désocialisé, infantilisé, réduit à l’état de numéro, l’enjeu est démultiplié. C’est quitte ou double.


Tous les acteurs jouent avec leur cœur, leur corps et leur âme. On y retrouve les punchlines décapantes que seuls des bonhommes empêchés mais vivants, sont capables d’improviser ; on y retrouve des idées géniales et originales que l’enfermement provoque et la première d’entre elles : la pièce de théâtre conçue comme un drôle de puzzle de chacune des personnalités, une comédie ; on y découvre beaucoup poésie aussi et un sens de la vie aiguisé.


Sing Sing est film subtil, qui reste pendant près de deux heures sur une ligne de crête qui n’est fragile qu’en apparence. L'impression que ce film laisse est tenace, une vapeur lumineuse.

Isabelle-K
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