Un docu touchant et profond : Antoine filme son frère Angel pendant 12 ans, de sa première année de médecine à la douzième, sur une bande-son de leurs vies entremêlées alliant musique et cinéma. Angel évoluer tout en conservant une apparence juvénile. Proche de celle qu’il affiche à ses 11 ans, lorsque leur père, médecin-généraliste, meurt, comme si ce stade était indépassable.
Les premières années, c’est un apprentissage par-cœur : ni sens ni réflexion. Des connaissances emmagasinées. Des plages horaires de travail strictes : 8h-midi, 13h-19h, 20h-minuit. Ça laisse peu de place pour les loisirs, les amis, la famille. L’objectif est le concours : Angel termine 5ème. Viennent les années à l’hôpital. Angel choisit le dispositif Erasmus. Première expérience hors de la famille, en coloc, entre cafards et étudiants. Angel goûte le célibat et apprécie la routine qu’il se construit. Il a trouvé sa place et comment l’investir. Retour en France où il acquiert son indépendance et loue son premier appart. C’est le temps de l’Internat et des stages. Il sillonne la France au gré des saisons. À l’hôpital, le temps est plus administratif : la rentabilité s’impose au détriment des valeurs incarnées par le serment d’Hippocrate. Dans les villages, une médecine de proximité renforce sa conviction d’avoir « fait médecine », surtout lorsqu’il est question de favoriser les conditions de départ de ceux résolus à mourir chez eux, auprès des leurs. "Merveilleux" : Angel est fier d'y avoir contribué.
Au départ il ne sait pas très bien pourquoi il entame ce cursus, tout en étant convaincu qu’il dépassera le découragement, le doute, la bureaucratie. Ce n’est pas l’humain qui l’intéresse dit-il. Il raisonne en termes de perspectives : quel est l’enjeu de la médecine dans nos sociétés occidentales ? Peu à peu, l’humain prend toute la place. Angel sera généraliste et conscientise l’absence du père et sa profession. Vivre sans père, c’est se forger une carapace et tracer. La médecine, paradoxalement l’invite à ralentir et à faire preuve d'humanité. En France, les hôpitaux des villes sont équipés à la pointe de la technologie : d’un point de vue technique, les équipes peuvent tout réaliser. À tel point, qu’ils ignorent l’humain, au profit de la perf’. Ailleurs en Europe, plus à l’Est, il a vécu l’inverse : l’économie de moyens qui rend les médecins plus soucieux des diagnostics, afin de soigner au plus juste. Ils n’ont pas le droit à l’erreur. Ailleurs, la santé est un privilège. Pour nous, elle est tout acquise, on n'y réfléchit plus.
À mesure que sa pensée se politise, Angel décide de prendre du recul : une année sabbatique pendant laquelle il devient berger, allant jusqu’à accoucher une jument. À ce stade, il a pointé dans tous les services : obstétrique, gynécologie, traumatologie…
En 2013, il fait part d'une approche visionnaire de la médecine : il s’imagine en médecin itinérant, s’investissant à fond en rase-campagne où les services publics et petits commerces ont déserté, quelques mois, avant d’exercer dans d’autres contextes moins chronophages et sans doute, moins relationnels. Angel en est convaincu : le médecin de famille est un personnage d’un autre temps. L'heure est à la flexibilité. Au médecin de s’immerger au plus près des patients, selon un traitement équitable pour tous, sur tout le territoire."La médecine, c’est simple" conclut-il : "Une part de connaissances techniques, et de l’observation".
Un sens qu’il apprend à développer dans une structure associative installée dans les quartiers Nord de Marseille, fonctionnant avec une équipe pluridisciplinaire (infirmiers, médecins, chirurgiens, traducteurs). Un centre de soins communautaire où tout est mutualisé, dans une grande maison au pied des cités, et réparti avec équité jusqu’aux salaires entre les femmes et les hommes. On n’est plus dans l’esprit de compétition : le caducée se détend. Ces douze années prennent d’un seul coup tout leur sens : Angel est utile, administrant une médecine concrète et sans contrainte.
Un film qui m’a fait réfléchir en tant que patiente, après avoir emménagé dans une ville où je n’ai pas trouvé de médecin disponible depuis un an. Plus aucun généraliste n’accueille de nouveaux patients, dans la ville et dans les communes avoisinantes. Un jeune médecin expérimenté, réserviste de défense et de sécurité intérieure (médecine d’urgence, du sport, générale, thérapeutique, télémédecine) a eu l’idée géniale de mettre son expertise au service de ceux désormais éloignés des soins. Dans un Algeco, il reçoit sur rendez-vous le soir de 20h à minuit, les week-ends et jours fériés, après (en plus de) son propre job. On réserve son créneau sur le net en fonction des disponibilités proposées au jour le jour, et de la problématique (une cinquantaine de motifs identifiés, brassant tous les cas ou presque, d’une médecine généraliste). Efficace, simple et convivial.
En matière de système de santé en état limite, je laisse le mot de la fin à Angel Page : "L’urgence, est une politique de gauche". "Comme la culture", renchérit son frère réalisateur qui a autofinancé son film à travers La Maison du Directeur.