Une peinture acide-amère des rapports hommes-femmes
Très joliment réalisé, ce long métrage entrelace en quatre styles d'animation différents trois récits en résonance ou en subordination. Trois marionnette du théâtre d'ombre indonésien tentent de reconstituer l'histoire de Râma, prince d'Ayodhya, envoyé vivre dans la forêt par un voeu imprudemment fait par son père. Il s'y fait ravir sa bien-aimée épouse, Sitâ, qui l'a suivi par devoir et amour. C'est Ravana, le très-puissant et démoniaque seigneur de Lanka qui a perpétré ce crime. Pour son malheur. car nul ne peut résister à Rama. Mais, las, le prince acceptera-t-il de reprendre une épouse qui a séjourné trop longtemps dans la demeure un d'un autre ?
Pendant ce temps, une jeune Américaine (l'auteure ?) se fait larguer par compagnon, parti vivre en Inde. Éloignement. Affres de la séparation.
Et Sita, la malicieuse, chante par la voix d'Annette Hanshaw, les péripéties de la vie amoureuse.
La fidélité au Râmâyana est lointaine. L'accent se porte essentiellement sur Sitâ, et porte un contre-message féminin, voire féministe, à l'épopée, véhicule ordinaire de valeurs phallocentristes - l'Inde de l'hindouisme étant globalement moins féministe que l'Inde védique. Les fondamentalistes hindous s'en sont émus, il faut bien trouver une occupation aux gens. Au fond, en effet, rien n'écorne le texte ni l'histoire de Valmiki. L'épopée n'est qu'un prétexte, un joli support, à raconter des histoires, et à contre-tisser les narrations multiples des accents du blues et de la déception amoureuse. Cela n'est pas sans égratigner les éléments machistes du mythe de Râma, mais c'est en le décalant en terre d'Occident, matériau disponible pour une peinture acide-amère des rapports hommes-femmes.
Quoique d'une surprenante inventivité, le film m'a progressivement lassé, ce qu'il faut sans doute imputer à son aspect haché - succession de saynète, cousues avec le fil d'une histoire que je connais par ailleurs assez bien, dans les quatre styles employés par l'auteure - et au peu d'appétit que j'ai naturellement pour les références musicales employées - un blues sirupeux aux accents mélancoliquement joyeux -, malgré la drôlerie, l'impertinence et les trouvailles des séquences concernées. Plus une question de goût que la qualité de l'œuvre, que je te conseille d'aller séance tenante visionner - ça se trouve en dévédé.
Film tout en finesses, film d'auteure joliment mûri, il mérite très largement le succès d'estime qui l'accompagne. Publié sous licence libre Creative Commons Attribution-Share Alike, et soumis à des difficultés - à mon sens éhontées - de licence d'exploitation, il a connu de nombreux déboires avant de parvenir sur les écrans. Il est à souhaiter qu'il puisse continuer longtemps encore à rencontrer son public.
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