Je n'ai jamais fini les 24 portraits de femmes qu'avait tourné Alain Cavalier (j'en avais vu 9 il y a des années) et je crois que j'avais oublié à quel point j'aime l'approche de Cavalier. C'est un réalisateur qui aime profondément filmer les gens, filmer les petites choses et je trouve ça fondamentalement émouvant.


Je veux dire que dans le premier portrait, celui de Léon, un cordonnier obligé de partir à la retraite on voit toute une ribambelle de gens passer devant la caméra, des gens simples, des gens qui n'ont pas l'habitude d'être filmé, que l'on s'intéresse à eux... Et c'est sublime... Ils sont contents, gênés... Et puis en même temps on s'intéresse à un véritable artisan, quelqu'un qui sait travailler de ses mains, on le voit réparer les chaussures, travailler le cuir... C'est passionnant. Cavalier ose les gros plans sur les mains usées par le labeur. Il ose montrer ce qu'est un véritable espace de travail et honnêtement si ce n'était un pas documentaire, jamais on n'aurait pu y croire... c'est un tel bordel...


Ce qui est d'une beauté absolue c'est de voir ce type vider son magasin au fur et à mesure pour le vendre... On voit plus de quarante années partir petit à petit, quarante-six années de vie dont il faut soudainement se débarrasser, qui doivent vider les lieux... Rien dans la fiction ne peut avoir une portée aussi tragique.


Le parallèle entre le vieux qui part et le jeune qui s'installe est bien trouvé. Le film s'ouvre sur la fin et se termine sur un nouveau départ que l'on sait, ou du moins que l'on espère fructueux. Et ce qui est intéressant c'est les points communs entre les deux. Rose, la femme de Léon a travaillé avec lui au début et puis il l'a envoyée à la maison, on les voit se disputer... Guillaume lui travaille avec sa femme, on voit même sa fille... Ils se disputent... Je ne sais pas si c'est fait exprès, mais ce genre de petites disputes quotidiennes, d'exaspération ordinaire à cause du conjoint qui permettent de vraiment faire le lien entre les deux portraits, qui permettent de se dire que les deux ne sont pas si éloignés... Même si Guillaume a clairement des rêves de grandeur, de reconnaissance, là où Léon est un petit vieux ronchon, humble et qui a malgré tout un bon fond.


Malgré ça, les situations restent les mêmes, les problèmes causés par le travail en couple restent similaires...


Cependant le portrait de Léon est plus chaleureux que celui de Guillaume... sans doute car il parle plus, il s'exprime plus, là où Guillaume est pris dans un tourbillon de travaux pour ouvrir à temps... Deux salles deux ambiances, mais une même thématique, celle du travail et une même ambition pour Cavalier, celle de filmer des gens, des vrais, qui peuvent procurer de belles émotions.


Il n'y a quasiment que Cavalier pour faire ça, pour filmer les gens ordinaires, leur donner la parole pendant de longues minutes, sans mépris, sans jugement... et lui qui aime tant parler dans ses films plus autobiographique sait se faire petit. Il sait laisser les autres s'exprimer...

Moizi
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le 16 nov. 2019

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