Slumdog Millionaire par Stéphane Bouley
Le moins que l'on puisse dire à propos du britannique Danny Boyle, c'est qu'il fait la part belle à l'éclectisme. Démarrant par un thriller grinçant, enchainant sur un film de défonce Rock n' Roll, se perdant dans une comédie romantique molle, s'échouant ensuite sur une plage moisie, renaissant de manière stupéfiante en dynamitant le film de zombie, prenant son temps avec un triller à hauteur d'enfant avant d'offrir un des meilleur film de science-fiction vu ces dernières années. Il s'est essayer à pas mal de genres et n'a eu de cesse de pousser l'expérimentation de sa mise en scène pour maximiser l'impact émotionnel de ses films. Le voir aujourd'hui aux commandes de cette chronique à la limite de la fable répond donc à une certaine logique dans la démarche du réalisateur: celle de ne pas avoir de carcan et d'aller là où bon lui semble.
C'est donc toujours avec curiosité et intérêt que j'attends un film de Danny Boyle, qu'en est il avec ce fameux Slumdog Millionaire ?
-La roue de l'infortune
Comme son nom l'indique le film raconte l'histoire d'un jeune homme issu des bidon-ville, un "chien du taudis" donc, qui arrive ne phase finale de la version indienne de Qui veut gagner des millions. Arrêté par la police car suspecter de fraude il va devoir s'expliquer sur son incroyable performance.
Le postulat de base du scénario sert de levier pour nous raconter la vie tumultueuse de Jamal Malik, personnage principal et chaque bonne réponse renvoi à un événement particuliers de sa vie dans le bidon-ville ou pour essayer d'en sortir. Le film navigue donc entre présent ( l'interrogatoire ), passé proche ( le jeu télévisé ) et le passé plus lointain ( l'enfance puis l'adolescence de Jamal ), cela permet de découvrir des micro-histoire tantôt touchantes, tantôt tristes, tantôt drôles ou voir carrément tragiques. Les personnages sont sans doute un peu trop archétypaux, en effet bien que le film s'étale sur une vingtaine d'année il ne dévieront que très peu de leur caractérisation initial. Cependant ils sont interprétés par des comédiens relativement convaincants qui permettent néanmoins de s'attacher à leur incroyable destinée. Cette construction éclatée a le mérite de dynamiser le récit mais montre rapidement ses limites puisqu'on se rend compte assez vite que la chronologie des questions correspond à la chronologie de la vie de Jamal, que l'on suivra de manière finalement bien linéaire. Une linéarité quasi mécanique qui a pour principal défaut de souligner le caractère irréel de l'histoire qu'on nous raconte. Le film devient encore un peu plus, un peu trop même, incroyable qu'il ne l'était déjà.
Danny Boyle, on le sait, est un cinéaste essentiellement visuel et une nouvelle fois le bougre se fait plaisir et à nous aussi. Son talent, à la limite du pictural, pour composer un plan est ici papable car souligné par une photographie tout simplement sublime faisant la part belle aux couleur éclatante, aux contrastes puissants et à un jeu sur les matières ( le verre, l'eau, la terre, le feu, etc... ) réunissant esthétique pur et symbolique dans un même élan. La mise en scène sophistiquée de Boyle utilise à merveille ce feu d'artifice visuel, multipliant les idées de mise en scène payantes il nous plonge dans un tourbillon de sensations et de couleurs plutôt grisant. On pourra tout de même lui reprocher certains illustration musicales qui, couplée au montage nerveux du film, donneront la sensation d'être devant un clip New Age; le problème n'étant pas la musique en soit mais d'avantage la sensation d'être, l'espace de quelques instants, en train de regarder autre chose que le film qu'on regardait jusque là. En dehors de ce petit bémol ponctuel ( ce n'est vraiment gênant que lors de deux passages bien précis ) la mise en scène du film est un ravissement pour les yeux.
-Le juste film ?
Si Boyle deploie une énergie créatrice inspirée on ne peut que regretter qu'elle ne soit pas au service d'une histoire, et plus globalement, d'un film aussi exceptionnel que sa mise en scène.
Ce qui dérange vraiment en regardant le film c'est que, justement, il ne dérange pas. Certes le film n'occulte aucune face de la misère qu'à pu vivre ces enfants mais à chaque rebondissement on sent que le film se garde bien de plonger dans le bain se cantonnant à rester en surface pour dévoilé des fait que seuls les gens les moins informés pouvaient encore ignorer. Comme avec ses personnages le film se refuse systématiquement à aller au delà de la première couche, à aller là où les choses font vraiment mal. Ce problème vient surtout du fait que la misère n'est finalement qu'une toile de fond car le film s'articule surtout autour d'une histoire d'amour pure, éternelle et contrariée. Ce volet romanesque est là encore assez superficiel puisque là encore son évolution est linéaire et prévisible. Certains objecterons sans doute en disant que le fait que ces situations existent est en soit sordide mais le film ne se cantonne à enfoncer des portes ouvertes en saupoudrant d'une histoire d'amour niaise.
Rajoutons à cela une histoire de gangster un peu naze qui empiète sur le dernier tiers du film et on a vraiment l'impression d'être devant un faux remake de La cité de dieux mais version bisounours... ou plus exactement version Hollywood.
Le film possède un rythme très efficace et se suit sans temps mort ni ennui mais au final on a surtout l'impression de survoler ce destin et surtout, et c'est sans doute le plus gênant, de contempler la misère du monde sans vraiment être concerné. Pourtant sincère dans sa démarche ( que des acteurs inconnus et certains vivant réellement dans les bidon-villes, des techniciens indiens, un tournage sur place ) Danny Boyle confond pudeur et édulcoration. Un parti-pris assez inhabituel pour un réalisateur intransigeant qui savait, même dans ses pires bouses comme La plage, oser aller au bout des choses et proposer des réflexions intéressantes et hors des sentiers battus même si parfois discutables. Le fait est que l'on suit le film sans problème et même avec un certain plaisir mais il est impossible de ne pas se dire qu'avec un postulat pareil et un réalisateur comme celui-ci on aurait pu attendre vraiment beaucoup plus.
-C'est votre dernier mot ?
Que dire de Slumdog millionaire ? Que c'est assurément un bon film, qui vous fera passer un bon moment, qui pourra même vous filer le sourire pour peu que vous soyez particulièrement sensible aux niaiseries vide de sens que sont l'amour, l'espoir ou la fraternité; mais qu'il n'est finalement que ça. Un film divertissant, efficace mais terriblement consensuel et lisse. Rétrospectivement il n'y a rien d'étonnant de voir ce Slumdog millionaire célébré de la sorte aux oscars, par les temps qui courent c'est peut être ce genre de film dont on besoin les gens, cependant une fois tout cela tassé on se rendra compte qu'on tient ici un film mineur dans la filmographie de son auteur, sympathique mais mineur.