Faux-semblants
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Avec Snake Eyes, Brian De Palma affiche sa virtuosité visuelle sur tous les pores de son œuvre. Virtuosité tellement grandiloquente, qu’elle prend le pouls de son récit. Missile sur l’image collective que renvoie cette Amérique dégoulinante de corruption, critique acerbe de cette culture de l’instant, redéfinition de la notion même de l’Histoire où la vérité ne passe que par les écrans de télévision ou des caméras de sécurité, le réalisateur fait de Snake Eyes une œuvre complexe mais passionnante à observer dans ses moindres recoins.
Alors que le film aurait pu n’être qu’une simple affaire criminelle, une enquête policière de plus, Brian de Palma structure Snake Eyes comme un huis clos qui tourne au thriller qui fournit un contexte adéquat pour que Brian de Palma puisse jouir de cette juxtaposition d’identité et d’intégrité contre l’intérieur faux et frauduleux d’un hôtel de casino. Tout au long de sa carrière, Brian De Palma s’est attaqué à la corruption systémique, notamment dans le gouvernement et l’armée. Lors d’un match de boxe, où tout le gratin de la ville se réunit, le secrétaire d’État à la Défense se fait tuer alors qu’il était sous la protection de Kevin Dunne. C’est alors un policier corrompu jusqu’à la moelle, Rick Santoro, ami de Kevin Dunne, qui va vouloir se charger de l’affaire pour sauver la réputation de son ami. Sauf qu’il n’est pas au bout de ses surprises.
Ce qui suit, dans l’intrigue, est un thriller qui regorge de doubles croix habituelles, de blondes mystérieuses, de corruption politique et de pluie constante, ainsi que de matchs de boxe fixes et de systèmes de défense contre les missiles douteux. Dans un film où la mise en scène se révèle tellement outrancière, vociférante de maîtrise, quoi de mieux que Nicolas Cage pour en rajouter une couche et décrire avec exubérance et psychédélisme une Nation aussi suffocante que malaisante dans sa capacité à vouloir attirer l’attention. Dans certains films de De Palma, tels que Outrages, le cabotinage nuit à l’attention même de la dramaturgie de l’histoire. Pourtant, dans Snake Eyes, Nicolas Cage est délicieux tant le délire de cette enquête policière, avec mystère et zone d’ombre, tombe parfois dans la parodie, et la satire grinçante d’un système.
A l’image des vingt premières minutes du film, tournée en un plan séquence unique, Snake Eyes fourmille d’idées, dévoile un monde crapuleux et renfermé sur lui-même où tout se montre mais rien ne se voit. La séquence vertigineuse d’ouverture du film suit la course folle de Nicolas Cage à travers l’arène quelques minutes avant le début du match, en descendant les escaliers, en dansant dans les couloirs, en saluant tout le monde comme s’il était le maître de la cérémonie. Ou alors, cette plongée dans un travelling en hauteur sur les chambres de l’hôtel du Casino est impressionnante de démonstration, scène qui sera une influence pour la séquence du Love Hotel dans Enter The Void de Gaspar Noé.
Quelque soit ses films, notamment dans ses accoutumances hitchcockienne, Brian de Palma a toujours aimé gratter le vernis de la résonance d’une image qui ment. C’est d’ailleurs l’un de ses thèmes principaux : l’interprétation de l’image. À son meilleur, Snake Eyes utilise ces flashbacks pour évoquer à la fois la lucidité et la frustration des rêveries historiques. Les personnages comparent leurs points de vue, dévastés par des révélations de plus en plus sinistres, essayant furieusement de réécrire le passé pour se placer sous le meilleur jour. Enclenché comme un puzzle, verrouillé comme un cadenas qui dissimule ses enjeux avec minutie, troussé comme une poupée russe de révélations concentriques, Snake Eyes est un regard passionnant sur un monde trop loin pour le salut où l’Amérique se déteint dans ses écrans et devient un exercice de style palpitant où le reflet et la croyance en l’image devient la chute d’un pays.
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Créée
le 9 juin 2018
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